Les humains ont remarqué très tôt que certains oiseaux disparaissaient à l’automne et réapparaissaient au printemps, mais ils n’ont pas compris tout de suite ce qui se passait .
Pour tenter d’expliquer ce phénomène, ils ont élaboré des théories qui nous font sourire mais qui devrait plutôt nous faire réfléchir aux multiples théories plus ou moins fumeuses que nous élaborons encore aujourd’hui et que nous prenons souvent pour des vérités absolues.
Les migrations ont d’abord été vu comme des signes de dieux. Les Chaldéens qui vivaient en Mésopotamie au IXe siècle avant Jésus-Christ ont été les premiers à tenter de percevoir l’avenir en observant les oiseaux.
Mais cette pratique a également été utilisée par les Grecs puis les Romains qui considéraient le vol des oiseaux comme un message de dieux. On peut imaginer l’importance qu’ils donnaient à ces groupes d’oiseaux qui passaient au-dessus de leurs têtes. La divination par les oiseaux était pratiquée par des devins ou augures qui étaient des prêtres spécialisés dans ce type de voyance.
Dans la classification de Platon, l’ornithomancie relève de la divination par signes et s’oppose à la divination inspirée.
On trouve les premières traces des migrations dans les récits d’Homère qui décrit les clameurs des Troyens qui » s’avancent bruyamment, comme une nuée d’oiseaux faisant entendre de vives clameurs : ainsi s’élève au ciel la voix éclatante des grues, quand elles fuient les hivers et les pluies continuelles. » (Iliade livre III)
500 avant Jésus Christ le poète comique Aristophane décrit une migration dans sa comédie « les oiseaux »
« Nous (les oiseaux) leur indiquons les saisons , printemps hiver, automne : semer , lorsque la grue , sonnant de la trompette , émigre vers la Lybie et avertit le nocher de suspendre le gouvernai let de dormir. »
La pièce montre deux Athéniens âgés qui ne supportent plus la corruption présente dans la ville. En réaction, ils décident d’aller chercher un endroit où ils pourront vivre tranquilles. Ils se rendent donc dans un bois et, guidés par une corneille et un choucas, partent à la recherche de Térée la huppe . Térée est un ancien humain réincarné en Huppe. Les deux amis comptent sur lui pour les aider à trouver ce bel endroit où ils pourront vivre en paix en compagnie des oiseaux.
La bible contient aussi des passages qui montrent que les hommes de l’époque avaient remarqué ces phénomènes.
Plusieurs passages dans le livre de job les décrivent parfaitement :
« Est-ce par ton intelligence que l’épervier prend son vol
« Et qu’il étend ses ailes vers le midi ? »
Ou
« Même la Cigogne connaît dans les cieux sa saison
La Tourterelle, !’Hirondelle et la Grue
Observent le temps de leur arrivée. »
Aristote, qui a écrit une histoire des animaux au IVe siècle avant J.-C, croyait à la migration et à l’hibernation . Pour lui , certains oiseaux s’envolaient vers d’autres régions ou pays alors que d’autres hibernaient .
Dans son ouvrage sur les animaux, il est le premier à classer les oiseaux en trois catégories .
1) Ceux qui gagnent d’autres latitudes.
2) les migrateurs verticaux qui descendent en hiver des montagnes pour y remonter à la bonne saison
3) ceux qui ne voyagent pas quand il fait froid, mais hibernent sur place.
Le dernier groupe selon regroupaient selon lui les cigognes , les milans, les alouettes, les tourterelles et les grives.
Aristote pensait aussi que le rouge-gorge et le rouge-queue étaient un seul et même oiseau qui se transformait selon la saison. Il apparaissait sous les traits du rouge-gorge en hiver et revenait avec le costume du rouge-queue en été.
Bien que certaines de ses idées paraissent aujourd’hui farfelues, il faut les remettre dans le contexte de l’époque où l’on ne savait absolument rien du comportement des oiseaux.
Ses écrits montrent au contraire un sens de l’observation remarquable et ne l’on ne peut qu’être séduit par la verve poétique de ses écrits.
Chapitre XIV
« Les actions diverses des animaux ont pour objets : l’accouplement, la production des petits, la recherche de la nourriture, qui doit être suffisamment abondante, le froid et le chaud, et enfin les migrations, suivant les saisons de l’année. Tous les animaux en effet sentent le changement du froid et de la chaleur, parleur organisation même; et tout comme, dans l’espèce humaine, certains peuples se retirent dans des maisons en hiver, tandis que d’autres, disposant de vastes contrées, vont chercher la chaleur en hiver et le froid en été, de même aussi ceux des animaux qui peuvent changer de lieux ne manquent pas de le faire. »
« Ainsi, tandis que les uns restent dans les climats dont ils ont l’habitude, parce qu’ils y trouvent tout ce qu’il leur faut, les autres changent de demeures, fuyant à l’approche de l’hiver, et vers l’équinoxe d’automne, les rives du Pont et les régions froides; et après l’équinoxe du printemps, revenant des climats chauds vers les plus froids, par crainte des chaleurs brûlantes. »
« Les pélicans aussi se déplacent. Ils s’envolent des bords du Strymon vers ceux de l’Ister, où ils vont faire leurs petits. Ils émigrent en troupes serrées, les premiers attendant les derniers, parce que, au passage des montagnes, les derniers ne peuvent plus être vus par ceux qui les précèdent. »
Mais pour lui la migration n’est pas la seule cause et comme tous ceux qui veulent rendre plus crédibles leurs croyances il invente des faits et se transforme en journaliste créateur de Fake news .
« On a trouvé par exemple des quantités d’hirondelles dans des creux, toutes dépouillées de plumes. On a vu des milans sortir de pareils endroits dans la saison où ils paraissent pour la première fois… Ainsi la Cigogne, le Merle, la Tourterelle, l’Alouette se cachent également. »
Dans le même genre journalistique l’archevêque d’Upsal qui est un opposant de la migration fait paraitre un ouvrage en 1555 dans lesquels il rend compte de la faune et de la flore animaux des pays nordique.
Il évoque là les hirondelles et leurs pratiques .
« Plusieurs de ceux qui ont amplement traité des choses inestimables de nature ont bien écrit comment les hyrondelles changent souvent de païs, se retirent l’hyver en pays chauds; mais ils n’ont point parlé de celles du Septentrion, léquelles sont souvent tirées par les pêcheurs hors de l’eau, comme une grosse boule, et s’entretiennent ensemble bec à bec, aile à aile, pié à pié. s’étans ainsi liées les unes aux autres vers le commencement de l’automne, pour se cacher dedans les cannes et rouzeaux. Et on a observé qu’en ce temps-là elles s’y cachent pour s’en retourner tout à leur aise, le printemps venu, à leurs nids premiers, ou en faire de nouveaux selon que la. …. Et d’hirondelles nature leur enseigne. Cette grosse boule étant parfois remontée par les jeunes pêcheurs, qui ne connaissent bien cet, et portée ès poèles et étuves, se résout en hyrodelles par la chaleur, lequelles commencent à voller. Mais elles ne durent guères, parce qu’elles ne se sont déffaites d’elles-mêmes, mais à force. Les vieux pêcheurs, et entendant bien que c’est, ayant pêché ces boules, les remettent encore en l’eau. »
L’archevêque n’hésite pas à mentir par le texte. Il n’hésite pas non plus à mentir par l’image puisque son texte est accompagnée d’une illustration qui montre des pécheurs remontant des filets remplis de poisons…. Et d’hirondelles.
On peut voir ici que la technique de la fake news n’a pas attendant les réseaux sociaux pour exister et que celui qui veut faire de sa croyance une vérité n’hésite pas à déformer les faits pour les faire correspondre à sa vision du monde.
Le grand classificateur Carl Von Linné croyait comme Aristote que les hirondelles de fenêtre passaient l’hiver en s’immergeant dans la mer ou qu’elles se couchaient dans la vase des étangs et entraient dans un sommeil profond jusqu’au printemps suivant.
Mais Linné n’était pas l’archevêque d’Upsal . Malgré ses croyances, il fut le premier en 1757 à demander que l’on installe des postes d’observation pour tenter de comprendre les déplacements annuels des oiseaux.
De nombreuses autres idées farfelues furent proposées pour expliquer l’incompréhensible phénomène .
La plus « surprenante » venait d’un auteur anglais qui publia un essai d’une cinquantaine de pages dans lequel il expliquait que les oiseaux volaient pendant 60 jours et se posaient sur la lune. L’auteur donnait de nombreux détails. Il expliquait notamment que les oiseaux là-haut ne pouvaient plus se nourrir et qu’il devait se mettre en hibernation et vivre sur les réserves qu’ils avaient faites avant de partir.
Le livre fut publié par un auteur qui préféra rester anonyme . On comprend pourquoi.
C’est dans les années 1550 que le naturaliste français Pierre Belon remit en cause la théorie de l’hibernation et apporta des preuves de la migration. Alors que les voyages étaient très rares à l’époque, il avait eu la chance de voyager jusqu’en Asie et avait pu remarquer que certains oiseaux présents en France l’ été se trouvaient en hiver dans des pays plus chaud. Il en conclut que les cailles ou les tourterelles ne passaient pas l’hiver au fond des marais, mais partait vers ce l’on appelait alors l’Anatolie ou l’Asie Mineure. Belon fut aussi le premier à dire que les cigognes passaient l’hiver en Égypte et en Afrique du Nord. Précurseur dans de nombreux domaines, il est aussi le premier à avoir comparé le squelette des humains avec celui des oiseaux.
Dans un monde où le spécisme était à la racine de toutes les pensées sur les animaux, il fallait avoir un certain courage pour oser faire une telle comparaison.
On pourrait croire que l’avancée de Bellon avait fait disparaitre définitivement les croyances, mais il n’en est rien. L’idée de l’hibernation des oiseaux dans les marais perdura encore longtemps .
Il fallut attendre Buffon et les années 1770 pour que la migration soit enfin reconnue comme la seule cause de la disparition et de la réapparition de certaines espèces d’oiseaux
D’abord impressionné par les arguments des pro-hibernations, il chercha des solutions pour ne pas les contrarier tout en avançant sur le chemin de la migration qu’il défendait
« Je ne trouve qu’un moyen de concilier ces faits: c’est de dire que l’hirondelle qui s’engourdit n’est pas la même que celle qui voyage, que ce sont deux espèces différentes que l’on n’a pas distinguées faute de les avoir soigneusement comparées. »
Puis sa pensée s’affirma et il montra que la physiologie aviaire interdisait qu’il puisse vivre sous l’eau.
« Puis donc que les hirondelles (je pourrais dire tous les oiseaux de passage), ne cherchent
point, ne peuvent trouver sous l’eau un asile analogue à leur nature contre les inconvénients de la mauvaise saison, il en faut revenir à l’opinion la plus ancienne, la plus conforme à l’observation et à l’expérience; il faut dire que ces oiseaux ne trouvant plus dans un pays les
insectes qui leur conviennent passent dans des contrées moins froides qui leur offrent en abondance cette proie sans laquelle ils ne peuvent subsister. »
À partir de là, le phénomène de la migration fut reconnu par tous même si quelques poches de résistance continuaient à exister de-ci de-là .
Les croyances ont un pouvoir d’adhérence très puissant et il faut toujours aux humains de nombreuses années, voire des siècles pour s’en défaire. J’ai envie de rajouter, « quand il y arrive ». Plus de 23 siècle auront quand même été nécessaire pour que l’hibernation soit définitivement exclu des causes de la disparition saisonnière des oiseaux. On est quand même très surpris quand on réalise que cette théorie plus que farfelue qui serait aujourd’hui immédiatement rejeté par un enfant de 8 ans était encore prise au sérieux par des spécialistes il y a 150 ans.
Le naturaliste Georges Cuvier qui n’était pas le dernier des sots écrivait encore en 1814 au sujet de l’hirondelle « Il parait constant qu’elle s’engourdit pendant l’hiver et même qu’elle passe cet état au fond de l’eau des marais ».
Le XIXe siècle marque un changement important. De nombreux observateurs commencent à noter les dates de départ et de retour des oiseaux et les premiers suivi migratoires sont réalisés par des ornithologues.
En France le premier site de surveillance des oiseaux migrateurs a été le col d’Organbidexka dans le pays basque. Aujourd’hui on compte de très nombreux sites qui surveillent les départs et les retours des oiseaux. Les observations de toutes les observations sont inscrits au fur et à mesure sur le site du portail français de la migration (https://www.migraction.net/) qui regroupent l’ensemble des données.