Sentience

Sentience

Du latin sentiens , ressentir par les sens.

Le Mot a été utilisé au XVIIe siècle pour distinguer la capacité de ressentir de la capacité de raisonner puis il a disparu du langage pendant de longues années. Il est réapparu récemment avec le développement de l’éthique animale.

Certains antispécistes mettent aujourd’hui en avant la sentience des autres animaux pour montrer que ce sont des êtres qui ressentent comme nous des émotions (joie, tristesse, souffrance) et qu’ils méritent donc notre respect.

Même si la capacité à ressentir des animaux est indiscutable pour moi depuis toujours, je ne suis pas très fan de ce mot un peu précieux qui met en avant le ressenti au détriment de la pensée et du raisonnement.

Comme si les animaux-humains avaient la capacité de ressentir et celle de raisonner et que les autres animaux ne possédaient que la première. Comme s’il y avait une rupture très nette entre les Homo sapiens et les autres espèces.

Le sens du mot a été élargi depuis. On considère maintenant que le mot sentience englobe aussi la conscience et la capacité à percevoir de façon subjective l’environnement et les faits qui surviennent .

C’est déjà mieux que le seul ressenti binaire ou la vision des anciens philosophes pour qui le mot ne désignait qu’une conscience au sens minimal du terme.

On se bien rend compte-là comment le sens d’un mot peut évoluer au fil du temps. On voit aussi que sa façade ne signifie pas grand-chose et que le véritable signifiant est la farce que l’on y place dedans.

Selon le biologiste anglais Donald Broom, un être sentient est « capable d’évaluer les actions des autres en relation avec les siennes et de tiers, de se souvenir de ses actions et de leurs conséquences , d’en évaluer les risques et les bénéfices , de ressentir les sentiments, et d’avoir un degré variable de conscience . »

Dans son intervention à l’UNESCO, le même Donald Bromm s’inquiétait que les Français se méprennent sur le sens du mot, importé cette fois-ci d’Angleterre .

«Je crois que c’est très important, disait-il , que « sentience » ne soit pas traduit par « sensible ». J’espère qu’il y a beaucoup de Français qui comprennent ceci.» 

Mais pourquoi employer alors un mot qui s’en rapproche tellement et qui prête à confusion. Pourquoi surtout créer un mot pour les autres animaux qu’on ne s’applique pas à nous-mêmes.

Sommes-nous vraiment si éloignés d’eux qu’on doive utiliser d’autres mots pour parler de nos différents points de vue ?

Mais peut-on savoir ce que ressentent et pensent vraiment les autres animaux ? Et comment imaginer que le ressenti puisse être détaché de l’intelligence qui le conditionne et lui donne sens. Chaque être voit le monde selon son point de vue avec son ressenti qui est guidé par l’intelligence.

Le philosophe Thomas Nagel a écrit sur ce problème dans son texte « Quel effet cela fait -il d’être une chauve-souris ». Il considère aussi que chaque espèce voit le monde selon la perspective que lui autorise la forme de son corps et la qualité de ses capteurs sensoriels.

Pour ces raisons, il pense que l’approche scientifique qui essaye de comprendre les objets du point de vue de l’observateur extérieur ne permet absolument pas de comprendre ce que vit un autre animal (chauve-souris) de l’intérieur et encore moins d’appréhender l’aspect phénoménal de sa conscience.

On peut le décrire de l’extérieur ou analyser ses comportements, mais on ne peut pas savoir ce qu’il ressent de l’intérieur. 

Le juger de notre point de vue n’a donc aucun sens puisque nous sommes incapables d’envisager son propre point de vue et encore moins comprendre comment il perçoit « son monde » .

-« Pour le savoir, dit -il, il faudrait être soi-même une chauve-souris » et je suis entièrement d’accord avec lui sur ce point .  Ludwig Wittgenstein ,le philosophe du langage, disait exactement la même chose lorsqu’il écrivait :

-« Quand bien même un lion saurait parler , nous ne pourrions le comprendre. »

Nagel considère aussi que le point de vue de nombreux animaux vaut bien celui des humains.

« Le fait que nous ne puissions pas espérer un jour inclure dans notre langage une description détaillée de la phénoménologie … d’une chauve-souris ne devrait pas nous conduire à écarter comme dénuée de sens l’affirmation selon laquelle la richesse des détails des expériences des chauves-souris … est tout à fait comparable à celle de nos expériences. »

Il pense également que l’expérience de la conscience est un phénomène très répandu dans le monde animal . « On la trouve à de nombreux niveaux de la vie animale  , écrit-il, bien que nous ne puissions être surs de sa présence dans les organismes les plus simples. »

Il reconnait aussi qu’il est très difficile de montrer ce qui le prouve puis se moque de « ces extrémistes qui sont prêt à nier la présence de la conscience même chez les mammifères qui sont très proches de nous » .

J’imagine qu’il pensait aux « enfants » de Descartes qui voient les animaux comme des sortes de machines insensibles et qui les rejettent dans le monde de l’impensé .

Cette vision existe hélas encore aujourd’hui et certains universitaires continuent de nier que les autres animaux puissent avoir une conscience et un point de vue sur le monde. 

La sémiologue Astrid Guillaume raconte comment l’Académie française des vétérinaires avait réagi au mot « sentience ».

 Sollicités pour donner un avis sur sa pertinence, ses représentants avaient rendu un avis très défavorable . Ils jugeaient en effet que ce terme pouvait réduire la différence en les humains et les autres espèces et pouvaient donc compromettre la supériorité des humains sur les autres espèces .

-« Ces termes, écrivaient-ils, s’ils étaient retenus, seraient rapidement utilisés de façon abusive avec un risque certain de servir d’arguments aux tenants de l’égalité entre l’Homme et les animaux, quelle que soit leur espèce, voire par les juristes souhaitant accorder une personnalité aux animaux. »

Leur avis négatif, heureusement, n’empêchera pas le mot « sentience » d’entrer dans le dictionnaire . Vous l’ aurez compris, mon avis sur ce mot est plus subtil et moins tranché que POUR ou CONTRE.

Les vétérinaires trouvaient qu’il rapprochait trop les autres animaux des humains . À l’opposé, je trouve qu’il les éloigne trop de nous.

Bien que cette désignation par les antispécistes parte surement d’un bon sentiment , j’y vois, là encore, une manière de placer les humains au-dessus des autres espèces et de reléguer ces dernières au simple rang des êtres qui ne font que ressentir.  Il suffit pourtant d’avoir observé longuement le comportement des oiseaux, des chats, des papillons ou des fourmis pour comprendre que leur capacité à réfléchir pour régler des problèmes est assez élevée et parfaitement ajustée à leurs besoins.

Le mot « sentience » génère aussi quelques errements . Des « spécialistes » n’ont rien trouvé de mieux que de chercher à savoir quels animaux étaient sentients et lesquels ne l’étaient pas .

Les éponges de mer, les mollusques bivalves , les anémones ou le corail ne le seraient pas alors que les pieuvres , les crabes ou les homards auraient des caractéristiques qui répondent aux critères actuels de la sentience.  

On frémit en pensant à ce que ce classement pourrait libérer chez les humains avides de maltraitance animale et l’on plaint celui qui ne rentrera pas dans la bonne case.

Descartes en son temps avait comparé les animaux à des machines. Il avait écrit qu’ils ne ressentaient rien et l’on connait les conséquences terribles que ce type de pensée « hyperspéciste » a provoquées . On parle de cet homme comme le père de la philosophie moderne . On devrait aussi, et peut-être surtout, l’appeler » le père de la vivisection  ». 

Si vous ne voyez pas l’intelligence de telle ou telle espèce dites-vous que le problème vient plus surement de vous, que d’elle. Cherchez alors à mieux comprendre l’animal en l’observant de longues heures. Vous trouverez très vite ce que vous n’aviez pas perçu jusqu’alors. On peut parler de sentience, je préfère parler de conscience intelligente. Mieux encore ; pourquoi ne pas évoquer le vouloir-vivre cher à Schopenhauer. Cette force de vie qui anime à leur insu tous les êtres vivants de leur naissance à leur mort. Que faisons-nous d‘autre que d’obéir aux injonctions de la nature   ? Et que font d’autre les plantes , les bactéries , les pucerons , les oiseaux ou les poissons ? .

Nous pensons que notre intelligence est plus grande que celle des autres animaux, mais pouvons-nous être juge et partie ? Ne sommes-nous pas alors comme ces êtres égocentriques qui passent leur journée à se regarder dans le miroir, qui se trouvent merveilleux et qui s’imaginent que leur avis peut avoir une quelconque valeur.

Quelle crédibilité en effet donner à ces jugements que nous portons avec complaisance sur notre petite personne et qui ne sont jamais contredits. 

Il en est de même pour les jugements que nous portons sur les autres espèces. 

Seule une autre espèce pourrait juger de notre intelligence en la comparant à d’autres, mais comment croire au jugement d’une espèce qui s’élève par elle-même au-dessus de toutes les autres.

On a longtemps cru que la terre ( et donc les humains) était le centre de l’univers. On sait aujourd’hui ce que valait cette croyance. Il en est de même pour notre intelligence . Nous nous croyons au-dessus, mais nous serons bien obligés très bientôt de convenir de que notre intelligence ne vaut pas mieux que celle de la limace ou de l’oiseau, qu’elle est juste adaptée à notre espèce comme celles de l’oiseau et de la limace le sont à la leur . Pas identiques, mais différentes et, comme j’aime le dire, parfaites dans leurs genres. 

De mon côté , j’ai toujours estimé que les espèces animales (humains compris) étaient faites dans la même pâte .

Plutôt que de parler de « sentience » pour qualifier nos amis « les bêtes» et définir leur particularité, je préfère dire avec Schopenhauer qu’ils sont « exactement les mêmes que nous ». L’expression est peut-être moins savante, mais correspond mieux à la perception que j’ai des animaux depuis mon enfance. Pourquoi d’ailleurs faire compliqué, quand on peut faire simple. Et pourquoi aller chercher un tel mot pour eux alors que nous n’utiliserons jamais ce vocable pour décrire le ressenti et la conscience d’un humain. 

Je nous imagine mal dire que telle personne est plus sentiente que telle autre . Et le dirait-on que l’autre le prendrait très certainement pour une insulte.

J’ai toujours considéré que le ver de terre, les oiseaux, les fourmis faisaient partie de la même famille que moi et qu’ils n’avaient rien à m’envier.

Pour le reste, je suis assez d’accord avec Nietzche pour dire que l’animal humain se différencie des autres animaux par ces manquements plus que par ses qualités.

J’ai beau faire, je n’arrive pas à considérer que les dégâts de plus en plus grands et quasi irréversibles que nous causons à la planète et à sa faune puissent être pris pour une preuve d’intelligence.

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