On sait que les fourmis pratiquent le mutualisme avec les pucerons ou des cochenilles dont elles apprécient beaucoup le miellat sucré. On sait moins que les fourmis pratiquent également le mutualisme avec certains lépidoptères.
Myrmécophilie
Qui a déjà vu un papillon tomber dans une fourmilière et se faire immédiatement dévorer par des centaines de fourmis sera étonné. Et pourtant, les fourmis pratiquent bien le mutualisme avec les certaines espèces de lycènes . Cette relation au sein de laquelle chaque espèce profite positivement de l’autre est appelée myrmécophilie* lorsqu’elle se déroule entre des fourmis et une autre espèce. Ce peut être une autre espèce animale, mais aussi des espèces végétales . Un exemple connu que j’ai déjà évoqué ailleurs est celui qui unit les fourmis d’Amérique centrale Pseudomyrmex ferruginae avec des arbres du genre vachellia (ex acacia).
Une fourmi myrmica ramène une chenille à la fourmilière (Photo david Nash)
L’arbre fournit un abri aux fourmis et les nourrit grave à des petites excroissances qui fournissent un liquide riche en sucre et en protéines . En échange, les fourmis protègent l’arbre en attaquant violemment les ruminants qui auraient la mauvaise idée de vouloir croquer ses feuilles. Elles vont même jusqu’à désherber le pied de l’arbre pour qu’un autre végétal ne vienne pas faire de l’ombre à leur hôte.
Avec les lépidoptères le mutualisme se déroule au stade la chenille. Il existe principalement avec des membres de la famille des lycènides . Les chenilles de ces espèces sont en effet dotées de petits mamelons sécrétant un liquide sucré qui se rapproche du miellat et qui plait beaucoup aux fourmis. Pour les fourmis, ce liquide est un apport nutritif important qui est notamment très apprécié au début du printemps quand les pucerons ne sont pas encore apparus.
Le liquide des chenilles est tellement apprécié que plusieurs espèces de fourmis peuvent se battent pour en garder le contrôle.
La glande de Newcomer
Les glandes qui fournissent le liquide sucré se nomment les glandes de Newcomer et portent le nom de l’entomologiste anglais Erval J.Newcomer qui les décrivit en 1912. Ces glandes ont la particularité de distribuer des gouttes d’un liquide sucré et riche en acide aminé lorsqu’elles sont stimulées par les antennes des fourmis . Le gout dépend de la plante hôte de la chenille ce qui explique pourquoi certaines chenilles sont plus sollicitées et apprécie par les fourmis .
Les relations que les chenilles entretiennent fourmis vont des relations occasionnelles à des relations obligatoires.
Les relations occasionnelles
Certaines espèces de chenilles ont des relations occasionnelles, dites facultatives, avec les fourmis. C’est alors l’occasion qui fait le larron. Les femelles papillons pondent leurs œufs sur les plantes hôtes qui se trouvent de préférence près d’une fourmilière. Attirés par l’odeur des chenilles, les fourmis ne tardent pas à venir les voir puis reste à proximité pour bénéficier de leur miellat. En échange elles les protègent des parasitoïdes ou d’autres prédateurs. Il arrive même qu’elle reste près d’elles la nuit pour les protéger, mais la relation n’est pas obligatoire. Ces chenilles apprécient la présence des fourmis et leur protection, mais peuvent parfaitement se développer si la femelle papillon s’est trompé et qu’elle a pondu ses œufs loin d’une fourmilière .
(Fourmis crématogaster sp protège la chenille d’une chenille de lycaenidae)
L’importance de ces chenilles pour les fourmis est telle qu’il arrive qu’elles récupèrent des chrysalides pour les protéger et les mettre à l’abri dans leur fourmilière. l’intérêt, là, est d’avoir la certitude que le papillon arrivera à son terme sans être parasité qu’il se reproduira et donnera vie à d’autres chenilles qui viendront les nourrir. Quand la nourriture est bonne, on a envie qu’elle revienne.
Les relations obligatoires
D’autres espèces de lycènes ne peuvent pas se passer de ce mutualisme et meurent si les fourmis ne s’en occupent pas. Comme dans le cas précédent, les femelles de ces espèces pondent alors leurs œufs en prenant soin de le faire sur des plantes hôtes qui se situent à proximité des fourmilières. Les chenilles sont alors visitées par les fourmis qui se nourrissent de leur miellat et les protègent . Il arrive aussi que ces chenilles entrent dans la fourmilière, mais sans jamais se nourrir des larves . La protection des fourmis est ici essentielle, car sans elles ces espèces seraient complètement parasitées et disparaitraient. Le lien qui unit les deux espèces est tel que la disparition de l’une, dans un espace donné, pourrait amener la disparition de l’autre.
Les relations obligatoires parasites
La myrmécophilie est une relation gagnant entre deux espèces qui en tirent profit . Quand l’un des deux en retire un bénéfice mais que l’autre y perd au change, on n’appelle plus cela le mutualisme ou la myrmécophilie mais le parasitisme.
C’est le cas, par exemple, entre l’azuré du serpolet (phengaris arion) et les fourmis
Le cycle débute comme les autres par la ponte de la femelle qui choisit une plante hôte à proximité d’une fourmilière. La chenille commence son développement en se nourrissant de sa plante hôte et après plusieurs mues se laisse tomber au sol. Encore minuscule, elle gonfle légèrement son thorax pour ressembler aux larves des ouvrières et émet des signaux chimiques et acoustiques rapidement détectés par les fourmis. L’une d’entre elles vient alors la ramasser et croyant avoir affaire à une larve de fourmis la transporte dans la fourmilière. La chenille, qui se nourrissait jusque-là de feuilles, change alors son alimentation et se met à manger les larves des fourmis. Là s’arrête la myrmécophilie, et là commence le parasitisme.
Bizarrement, les fourmis la laissent faire bien que cette dernière soit en train de dévorer leurs petits . Il semblerait que la chenille émette des odeurs qui neutralisent l’agressivité des fourmis et qu’elle pousse des petits cris qui imitent les signaux de détresse des ouvrières. Ces deux actions font qu’elle devient inattaquable et même protégée par l’ensemble de la fourmilière.
La chenille vivra ainsi aux dépens des fourmis pendant une dizaine de mois avant de se transformer en chrysalide puis devenir un papillon adulte .
*Myrmécophilie : (du grec ancien μύρμηξ, « fourmi » et φῐλεῖν, « aimer ») Terme que l’on emploie pour parler des interactions positives qui existent entre certains animaux ou plantes et les fourmis.