Perspectivisme (dans le cadre de notre relation avec les autres animaux)

Le perspectivisme est une notion philosophique qui avance l’idée qu’il n’y a pas une seule vérité (celles des humains) qui serait « absolue », mais une multitude de vérités. Autant qu’il y a de points de vue.

Par exemple, les humains ont longtemps considéré que leurs vérités étaient des vérités universelles qui valaient pour toutes les espèces.

Celui qui pratique le perspectivisme, lui, ne croit pas du tout à cette vérité absolue et considère que la vérité des humains n’est que celle des humains et qu’elle ne peut être prise comme une vérité universelle qui existerait « en soi ».

Pour le perspectiviste, le monde n’existe pas « en soi », mais il est : « ce que je vois ».

Mesange bleue femelle et mésange bleue mâle

Et ce qui m’apparaît ne m’apparaît ainsi que grâce à la forme très particulière de mes yeux (mes oculaires) et au contenu de mon psychisme.

La vision d’une limace, d’un oiseau ou d’une libellule est différente de celle des humains et elle « donne à voir » un autre monde que celui que nous voyons.

En réalité, chaque être (hommes, femmes, oiseaux, insectes, araignées, papillons, etc…) perçoit le monde selon ses capacités sensorielles et psychiques et aucun ne perçoit jamais « le vrai monde ».

Être perspectiviste ne veut pas dire pour autant que l’on raye de la carte toutes les « vérités » humaines.

Cela veut simplement dire que l’on a conscience que cette vérité n’est que celle des humains et qu’elle ne peut être appliquée à aucune autre espèce.

La nuance semble fine et pourtant cela change complètement notre relation aux autres animaux.

Si je considère que ma vérité est la vérité absolue et qu’elle est valable universellement, je traiterai les autres animaux comme des sous-êtres qui ne sont pas capables d’accéder à mon niveau d’intelligence.

Si je perçois au contraire que ma vérité n’est que la mienne, qu’elle est une peinture subjective du monde (une belle peinture), et qu’elle ne vaut ni plus ni moins que les autres visions, alors je considérerai forcément que les autres animaux sont des êtres de même valeur que moi qui ont une autre perception du monde et donc d’autres vérités.

Un bon exemple de perspectivisme est la vision que nous pouvons avoir d’un couple de mésanges bleues. Grâce ou à cause de nos yeux et de leur capacité, nous les voyons du même bleu. Cela, nous en sommes certains et nous considérons ce fait comme une vérité « absolue ».

Reste que pour les mésanges elles-mêmes, les couleurs du mâle et de la femelle sont extrêmement différentes et ne peuvent être confondues.

La raison ?

La vision humaine est « trichromatique ». C’est-à-dire que l’œil humain comporte trois cônes sensibles aux couleurs (bleu, le vert et le rouge) qui lui permettent d’analyser les couleurs.

Les oiseaux, eux, et bien d’autres espèces, comme les libellules ou le poisson-zèbre, ont une vision « Tétrachromatique ».

C’est-à-dire qu’ils possèdent non pas trois, mais 4 cônes. (Les quatre pigments combinés aux cônes des passereaux étendent le spectre visible jusqu’aux ultraviolets.)

Par conséquent, leur vision colorée est bien plus riche. La gamme des couleurs qu’ils perçoivent est bien plus large que la notre et cela leur permet de percevoir des différences de couleur là où nous n’en voyons aucune.

Le perspectivisme ici est flagrant et l’exemple montre à quel point notre perception dépend de nos capacités corporelles et psychiques.

Je ne vois que ce qui m’apparaît.

On comprend bien, là, que l’affirmation « le couple de mésanges est du même bleu » n’est une vérité que pour les humains et ne peut être considéré comme une vérité universelle puisqu’elle est vue d’une autre manière par des êtres qui perçoivent bien mieux les couleurs que nous.

Ceci est un petit exemple, mais je pourrai les multiplier à l’infini et vous montrer que ce vous tenez pour définitivement et universellement vrai, ne l’est pas du tout.

En philosophie, on peut retrouver la notion de perspectivisme chez Montaigne, Leibnitz et d’une certaine manière chez Kant ou Schopenhauer qui ont montré l’impossibilité d’accéder à la chose à soi, mais que l’on pouvait seulement en saisir les représentations (subjectives) que nous nous en faisons.

Mais c’est Nietzche qui au 19e siècle développera vraiment cette notion et parlera de penser « en point de vue ».

« Il n’y a pas de faits, seulement des interprétations. Nous ne pouvons constater aucun fait en soi. Le monde n’a pas un sens derrière lui, mais d’innombrables sens. »

Nietzsche, Fragments posthumes, XII

La philosophie d’Husserl, connue sous le nom de « phénoménologie », est également une philosophie de la perspective puisque sa position principale est de considérer que le monde n’est pas « ce qui est », mais « ce qui m’apparaît ». On ne cherche donc plus à s’emparer d’un supposé réel, mais à comprendre par où et pourquoi je le reçois sous cette forme.

Le perspectivisme est une façon de voir le monde qui permet aussi de repenser des concepts comme la nuisibilité.

Selon la pensée le plus commune, la nuisibilité est décrétée quand un animal gêne les humains ou qu’il ne correspond pas à la planification subjective et artificielle que ces derniers ont décidée au nom de leurs seuls intérêts.

Vu du perspectivisme, la nuisibilité n’existe pas, car on perçoit immédiatement que l’animal sur lequel on a posé ce qualificatif n’est “nuisible” que pour l’espèce humaine.

Un animal peut en effet être dérangeant pour nous et être par ailleurs extrêmement utile et bénéfique pour un grand nombre d’autres espèces.

Dans le premier cas, la pensée « autocentrée » est une pensée fermée et narcissique qui ne tient compte de l’intérêt d’une seule espèce (celle qui est en train de détruire la planète).

Dans le second, la pensée se pose la question du sens d’une espèce dans la globalité de la nature. Elle se pose la question en essayant de la penser de plusieurs points de vue. Celui des humains, mais aussi celui de tous les autres animaux dans leurs interconnexions.

« La lune n’est ronde que pour celui qui a des yeux ronds »

Annexe :

Le perspectivisme est également très intéressant pour penser les relations hommes-femmes et se demander :

1 : De quel point de vue ou de quels désirs parlent les hommes

2 : De quel point de vue et de quels désirs parlent les femmes.

On se rend compte à cette occasion que les deux points de vue sont absolument différents et que l’incompréhension et le malentendu sont au cœur de la guerre des sexes.

Le perspectivisme, qui considère que plusieurs points de vue sont possibles sur un seul fait, est à la pensée narcissique (basé sur un seul point de vue) ce que l’héliocentrisme a été au géocentrisme.

Les humains ont longtemps pensé qu’ils étaient le centre du monde (narcissisme) avant de s’apercevoir que loin d’être le centre de quoi que ce soit ils vivaient sur un minuscule satellite sans grande importance perdue au milieu d’un immense cosmos.

De la même manière les humains ont longtemps cru que leur vision « autocentrée » était une vérité absolue avant de découvrir que leur pensée (leur propre peinture du monde) n’était qu’une au milieu d’une multitude de pensées toutes aussi valables.

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