Rouge-gorge ou rougegorge ?
Tous les dictionnaires, y compris celui de l’académie française, écrivent « rouge-gorge » avec un trait d’union.
Les ornithologues, eux, préconisent de l’écrire sans tiret « rougegorge ».
La raison qu’ils avancent pour ce changement, vient de ce qu’ils considèrent qu’au pluriel, on doit écrire « rouges-gorges ».
Or, disent-ils, on se doute bien qu’il n’y a pas plusieurs rouges et plusieurs gorges, ni même des rouges qui sont gorges, mais bien des rougegorges en un mot.
Et de citer l’ornithologue Alfred Richard qui au début du siècle écrivait déjà ceci au sujet du durbec, mais cela vaut pour tous les noms composés.
« La vue d’un trait d’union entre dur et bec, m’a fait ouvrir un petit dictionnaire, d’usage courant, que j’ai là, à portée de la main : Durbec y est écrit en un mot. Satisfaction. Supprimons le trait d’union dans tous les noms d’oiseaux composés, dans lesquels ce nom est un complément circonstanciel du mot oiseau, et, du même coup, nous supprimons une anomalie grammaticale. Au singulier, il n’y a rien à dire. Un dur-bec est un oiseau à dur bec, mais lorsque ces volatiles sont en nombre, chacun d’eux continue à n’avoir qu’un bec, et il faudrait écrire : des dur-bec. Si j’écris : « Je vois des durs-becs s’envoler de ce sapin », cela signifie en bon français que les becs s’envolent et que les oiseaux restent. L’usage n’est-il pas depuis longtemps d’écrire : des paille-en-queue, des queue-en-éventail sans s, ni à paille, ni à queue, et sans s ni à queue, ni à éventail, par la bonne raison que ces oiseaux ne changent pas subitement de nature pour se trouver réunis ? »
Les ornithologues recherchent donc à rationaliser ce mot en faisant comme si l’unique rôle de la langue était d’être rationnelle et grammaticalement correcte.
C’est oublier que la fonction de la langue n’est pas que d’être logique et que les mots portent aussi en eux toute l’histoire qui les a fait naitre et évoluer. On ne compte plus les mots dont l’orthographe nous pose question sur le plan de la logique et de la rationalité.
Vouloir simplifier ou rationaliser à tout prix, c’est aussi, d’une certaine manière, effacer le passé.
S’il peut être parfois utile d’opérer quelques changements pour gagner en lisibilité, on ne doit jamais oublier que les mots racontent aussi l’histoire de notre langue et qu’il n’est pas toujours bon de la faire disparaitre d’un coup de gomme.
On pense par exemple à l’accent circonflexe de « forêt » ou « hôpital », dont on pourrait, sur le plan de la logique se passer, mais qui nous signale la disparition d’une lettre sur ces mots. En ancien français, on écrivait « forest » ou hospital . Avec l’évolution de la langue, le s disparut et il a été remplacé par un accent circonflexe.
On peut d’ailleurs retrouver ce S dans le mot forestier « ou « hospitalier ».
Supprimer l’accent circonflexe simplifierait effectivement l’usage, mais effacerait au passage l’histoire de ce mot.
Le plus amusant est que les ornithologues se sont fixés depuis de nombreuses années sur cette « bizarrerie orthographique » en pointant son absurdité, mais qu’à aucun moment ils n’ont remis en cause le choix de la couleur « rouge ». Car la gorge du rouge-gorge, à bien la regarder, n’est pas du tout « rouge » mais clairement ORANGE. Alors pourquoi, si la rationalité est à l’origine de ce changement d’orthographe, ne pas proposer aussi de l’appeler : « orangegorge ».
On imagine déjà les cris du public qui est très attaché à ce petit oiseau et l’on comprend que les ornithologues ne se risqueraient pas à proposer un tel bouleversement.
Cette « étrangeté liée à la couleur » raconte d’ailleurs précisément ce dont je parlais plus haut.
À savoir qu’elle renferme l’histoire de la création du mot et qu’on la comprend dès que l’on apprend pourquoi le rouge a été choisi au lieu de l’orange.
La raison est très simple.
Quand l’oiseau a été identifié puis nommé pour la première fois au Moyen Âge, le mot « orange » n’existait pas encore. Il sera « créé » plus tard, au xv siècle, lorsque les grands voyageurs portugais partiront vers les Amériques et la Chine et qu’ils en ramèneront le fruit « orange » alors inconnu en Europe. On donnera alors à la couleur le nom du fruit qui la définit parfaitement.
Mais le public s’était déjà attaché à cet oiseau et il n’était plus question de le rebaptiser.
À titre personnel et étant extrêmement sensible à la genèse des mots et à leur histoire, je continuerai donc à écrire le mot qui identifie Roberto au singulier « rouge-gorge » et au pluriel « rouges-gorges » comme le recommande l’académie Française. Mais je n’en voudrai pas aux amis de la logique et à tout à ceux qui, suivant la préconisation des ornithologues, préféreront l’écrire « rougegorge » ou « rougegorges ».
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