Olivier Messiaen et le merle noir

Les oiseaux, de tout temps , ont  inspiré les artistes et plus particulièrement les musiciens. Le compositeur Olivier Messiaen en a fait le cœur de ses recherches. Dès l’Âge de 15 ans, il allait dans la nature avec du papier à musique et un crayon et transcrivait en note leur  chant. Par la suite il développa cette passion  en  fréquentant  les plus grands ornithologues et en parcourant de nombreux pays pour écouter la « musique » de oiseaux du monde .  

Olivier Messiaen transcrit en notes le chant des oiseaux

Dans ses entretiens avec Claude Samuel  Il explique lui-même comment le gout pour les oiseaux lui est venu très jeune :

« Tout simplement parce que j’aimais les chants d’oiseaux qui m’ont frappé dès ma jeunesse ; j’en ai noté un grand nombre , d’abord très mal sans pouvoir déterminer l’oiseau qui chantait. J’étais profondément mortifié de mon ignorance et j’ai demandé des conseils à des ornithologues de métier. La première personne qui m’a renseigné était un ornithologue et écrivain de grand talent qui s’appelait  Jacques Delamain. »

Puis il cite une longue liste d’ornithologue qu’il a rencontré et avec lesquels il a développé ses connaissances. Il cite notamment Jacques Penot avec lequel il avait travaillé en Camargue ou   de Robert Daniel  Etchecopar  qu’il rencontra à l’ile d’Ouessant . il parle également de Francois Hüe et de Henri Lomont avec qui il fit de longues promenades dans les Pyrénées orientales autour de Banyuls et de Port-Vendres.        »

Plus tard  les mélodies des oiseaux lui serviront de point de départ  pour écrire certaines  de ses pièces musicales .

En 1941 il sera nommé professeur au conservatoire national supérieur de musique de Paris à la place d’ André Bloch, démis de son poste car juif . Pour avoir la place   Messiaen devra remplir une déclaration attestant que son père est français, qu’il n’a jamais appartenu à une société secrète, qu’il n’est pas juif , que ses 4 grands parents ne sont pas juifs et qu’il n’y a absolument pas de sang juif dans sa famille.

Il restera professeur jusqu’en 1978.   Il recommandait à ses élèves d’écouter attentivement le chant des oiseaux et de s’en inspirer .Parmi ceux qui assistèrent à ses cours on trouve des musiciens comme Pierre boulez ou Iannis xénakis.

Partition du merle noir

L’une de ses premières œuvres qui prend pour modèles les oiseaux est une composition de musique de chambre pour flûte et piano qui s’intitule le merle noir.

Il créera par la suite de nombreuses autres pièces musicales ayant ce même sujet comme « réveil des oiseaux », « oiseaux exotiques », « catalogue d’oiseaux »,  « la fauvette des jardins », « petites esquisses d’oiseaux » ou encore « un vitrail et des oiseaux »..

« Dans mon catalogue d’oiseaux , disait Messiaen, on pourrait relever un grand nombre d’innovations, parce que la reproduction du timbre des oiseaux m’a contraint à de constantes inventions d’accords, de sonorités, de combinaisons de sons et de complexes de sons qui aboutissent à un piano qui ne sonne pas « harmoniquement » comme les autres pianos. Exemple avec le Merle bleu. »

Messiaen disait aussi :

« C’est dans la Fauvette des jardins que vous trouverez ma plus grande innovation formelle. Là, au lieu de me référer à un moule antique ou classique, j’ai cherché à reproduire sous une forme condensée la marche vivante des heures du jour et de la nuit. »

Lors des entretiens avec claude Samuel il revient sur les différentes raisons qui poussent les oiseaux à chanter .

« La bataille pour le territoire dit -il  est la première cause et il  note que le plus beau chant l’emporte . « Si celui qui veut s’emparer du territoire chante mieux que celui qui y habite , ajoute-t -il,  ce dernier doit laisser sa place  . »

La deuxième raison qu’il avance  est l’impulsion amoureuse qui fait chanter l’oiseau pour séduire sa belle. Messiaen considère que ces chants d’amour  sont parmi les plus beaux .

-« Mais il existe, dit-il, une troisième catégorie qu »il j’admire et qu »il place au-dessus de tous les autres  . C’est le chant gratuit . Celui qui n’a aucune fonction  sociale  et qui n’est provoqué  que  par la beauté plus ou moins grande de la lumière . »

Messiaen évoque alors ce souvenir d’une grive musicienne, spécialement douée pour le chant,  qui donnait de magnifiques récitals au soleil couchant  lorsque les nuances de couleurs passaient du rose  ou du rouge au violet et qui chantait des thèmes bien moins intéressant lorsque la lumière était quelconque.

Un peu plus loin,  pour mettre l’accent sur la virtuosité  du chant des oiseaux, il parle du syrinx, cet organe vocal propre aux oiseaux qui leur permet  de faire des roulements et d’obtenir des intervalles très petits entre les notes.

-« Aucun  ténor et aucune coloratur, dit-il, ne pourront jamais égaler les oiseaux. »

Et pour illustrer son propos, il rapporte cette anecdote.

«  il y a quelques années , la femme de Manuel Rosenthal, qui est cantatrice et professeur de chant, avait acheté un superbe shama des indes (c’est un merveilleux chanteur en cage) ; le shama chantait à longueur de journée et , pendant les leçons, excité par la musique de la pièce voisine, il redoublait ses chants, chantant si bien que les élèves étaient honteuses de leur propre voix : finalement, la leçon ne pouvait avoir lieu parce que le temps se passait à écouter l’oiseau et à s’extasier sur sa brillance et ses facilités… »

Ornithologue par passion

Messiaen disait  être capable de reconnaitre à l’oreille sans aucune hésitation une cinquantaine de chants d’oiseaux et reconnaissait  avoir besoin d’un peu plus de temps et de réflexion et d’une bonne paire de jumelles  pour identifier les chants des  550 autres espèces d’oiseaux qui vivent en France .

Il a tout de même fait entrer dans ses œuvres entre 300 et 400 chants d’oiseaux  et même s’il y a une grande part de formalisme dans son travail, il tenait à garder une grande part de réalisme.

L’un de ces anciens élèves ,  le compositeur François-Bernard Mâche,  dit que cette dualité était l’objet même de ses recherches dans les années 50.

Ce dernier explique que pour rendre le timbre d’un oiseau, Messiaen  procédait à des « agrégats de notes «  selon la méthode additive*  

La vision du chant des oiseaux par un musicien est  très  intéressante, car elle nous sort des idées toutes faites . Il pensait par exemple, comme on l’a déjà vu, que le chant du Merle était d’une richesse créatrice très importante alors qu’il considérait que le chant du rossignol, pourtant très apprécié des néophytes était, lui, plutôt répétitif et  stéréotypé  .

Les deux oiseaux les plus « doués » pour leur chant étaient selon lui la grive musicienne et l’alouette des champs .

Il décrit le chant de l’alouette comme des guirlandes et des arabesques évoluant entre des notes longues et des « points d’appui du plafond » et finit par dire  que seul un musicien peut arriver à comprendre la structure de ce chant tant il est complexe et subtil .

Alouette des champs (Alauda aversis) Domaine public

– « la preuve, dit-il, est que les ornithologues butent sur sa description et finissent par écrire : « chant extraordinaire « impossible à décrire » « 

Pour la grive à qui il attribue le terme de « génie », il parle d’un chant au caractère incantatoire avec des strophes répétées, mais qui ne sont jamais les mêmes. Des strophes  où l’invention est permanente et infinie  . C’est-à-dire, explique-t-il, que l’oiseau invente une strophe , la répète trois fois,  puis il en invente une autre qu’il répète trois puis il en invente une autre qu’il ….. Et ainsi de suite .

Grive musicienne ((Turdus philomelos) Domaine public

Je dois avouer que le chant des oiseaux me semble bien plus mélodieux et agréable à entendre  plus que la musique de Messiaen  qui a le défaut, à mon gout,  d’être bien trop cérébrale (maladie du siècle). Il y a une vérité dans le chant des premiers que je ne retrouve pas du tout dans la musique du second . Mais comment ne pas être sensible à son amour des oiseaux qui, lui, parait  complètement sincère. Et comment ne pas être sensible à la manière qu’il a d’écouter la « parole » des oiseaux en la mettant sur le même plan que la « parole » des humains    . Comme quoi on peut être touché par une facette d’un créateur et rester totalement  insensible à celle qui lui fait face.

Je tenais  tout de même à évoquer cet artiste qui a mis les oiseaux en avant et qui a passé beaucoup de temps à les observer et à les écouter .

Dans le dictionnaire amoureux des oiseaux, Allain Bourgain Dubourg évoque le musicien et note ceci au sujet du merle noir.  « lorsqu’il compose en 1952 « le merle noir » , une œuvre pour flûte et piano, le maitre a tellement pénétré l’intimité de l’oiseau qu’il considère que les merles de la campagne sont « de plus grands seigneurs » que ceux des villes. « il y a dans leur gaieté, dans leur insouciance , et même dans leur nonchalance, une grandeur, une noblesse particulière nonchalance. »

Comme de nombreux  amis des oiseaux, Olivier Messiaen avait une affection toute particulière pour le rouge-gorge. Dans ses « petites esquisses d’oiseaux » dédiés à son épouse Yvonne Loriod ( un nom d’oiseaux) qui comportent 6 parties, il en consacra 3 au rouge-gorge .

Le rouge gorge (Erithacus rubecula )

Il avait remarqué que celui ci était l’un des rares des oiseaux qui chante autant  au printemps qu’a l’automne.  À son sujet il écrivait ceci :

-« le rouge-gorge chante aussi  le soir, au coucher du soleil, et même après, la nuit étant déjà installée. C’est l’heure  où son chant est le plus beau, le plus détaillé, le plus poétique . le chant du rouge-gorge est doux, fin- sauf quelques notes flutées, plus lentes et plus fortes. Dans l’ensemble , c’est plutôt un gazouillis aigu, rapide, de nuance piano ou pianissimo, très varié, comme une dentelle musicale. Un de ses thèmes les plus typiques est un trait descendant, rapide (cascade de sons perlés, de gouttes d’eau légères), suivi , après un bref silence, de deux notes conjointes, flutées, tendres, confiantes et amicales. »

Cécile sauvage

Cécile sauvage

On comprend mieux l’intérêt d’olivier, Messiaen pour les oiseaux et la nature quand on sait que sa mère, Cécile Sauvage, était une femme de lettres et que la plupart de ses poèmes sont des odes à la nature. On y trouve de nombreuses références aux oiseaux et à leur « musique »  .

Portrait de Cécile sauvage Domaine public

Messiaen, qui admirait sa mère, disait qu’elle avait eu des intuitions poétiques alors qu’elle était enceinte de lui.

Il citait ces phrases extraites des poésies de sa mère  .

 « Je souffre d’un lointain musical que j’ignore. « 

Ou

« Voici tout l’orient qui chante dans mon être avec des oiseaux bleus- avec ses papillons »  

Il était persuadé qu’elle avait deviné ce qu’il allait devenir avant même qu’il ne naisse.

Comment, pouvait-elle deviner que je serais ornithologue, disait-il, que je deviendrais musicien et que le japon me fascinerait  ?

Dans des lettres à son mari, Pierre Messiaen , Cécile sauvage fait de nombreuses références aux oiseaux, auxquels elle s’identifie. Elle compare sa fragilité et sa légèreté à celle des passereaux qu’elle peut voir et surtout entendre lors de ses promenades dans les bois . Elle y emmènera régulièrement Olivier qui poursuivra cette activité toute sa vie  .

Pour Cécile  , la poésie, la musique et les oiseaux sont liés .

« Parler des oiseaux c’est parler de soi-même. »

Elle écrit à Pierre :

« l’élégance des mots légers est pour les petites

filles un écran ; ce qu’elles trembleraient d’écrire uniment

et brusquement, leur voix le gazouille »

et elle continue la comparaison un peu loin .

« Elles font comme les oiseaux qui ne parlent que par mélodies à leur dame d’avril, car ils savent

bien que la musique peut traduire toutes les audaces sans

jamais blesser l’oreille ».

Dans son journal, elle note en 1907 :

J’adore les contes de fées. Quand j’étais petite , j’en écrivais pour ma sœur et pour moi . Quelques-uns étaient interminables. Chaque jour, j’ajoutais un nouveau chapitre . C’était toujours du merveilleux , des soies, des grands oiseaux à queues fantastiques, des palais ruisselants de pierreries au profond des bois et ou vivaient en harmonies les meilleures et les plus belles créatures.  

Cécile avec Olivier, à gauche, et son petit frère Alain Domaine public

Évoquant son fils Olivier, elle écrit aussi.

Sous les arbres , je promène ma fierté de mère poule. Menue et mince comme un pied d’alouette, je m’enorgueillis de la branche si robuste qu’est mon fils ainé. À huit ans , il est presque aussi grand que moi . Il me dit d’un air tendre : « tu es si petite ». Sur mes petits pointus, je trotte dans la vie. Mère poule, oui, de pattes et d’ailes tout émues. […]

Olivier, c’est mon « chevalier rose ». Il s’est donné ce nom lui-même, c’est moi la dame de ses pensées. Il a dessiné son écu, qu’il pose comme un sceau de tendresse au pied des petites lettres qu’il m’écrit .

Atteinte par la tuberculose Cécile sauvage est morte très jeune à l’âge de 44 ans .

Poésies de Cécile sauvage qui ont un rapport avec les oiseaux

Le bonheur est mélancolique.
Le cri des plus joyeux oiseaux
Paraît lointain comme de l’eau
Où se noierait une musique.

À l’œil qui s’en repaît longtemps
La couleur des fleurs est moins fraîche ;
L’herbe a parfois l’air d’être sèche
Sur le sein même du printemps.

L’allégresse comme un mensonge
Hausse sa note d’un degré
Et l’angoisse au coeur se prolonge
Sous un jour trop longtemps doré.

Cécile Sauvage

Un oiseau chante comme une eau
Sur des cailloux et des pervenches.
Quelle odeur de printemps s’épanche
De cette pure voix d’oiseau !

Cécile sauvage (1910)

Le vallon (1913).

Je me souviens d’un paysage

Où la neige molle tombait,

Pareille à l’indolent plumage

D’un grand oiseau qui se dévêt.

Assise près de la croisée,

Je regardais le sol blanchir

Et les ramures dénudées

Sous les flocons s’épanouir.

On eût dit une moisson triste

D’herbe pâle qui s’étendait,

Où le cœur perdu somnolait

Sans savoir même qu’il existe ;

Et lointains, les oiseaux nageaient

Dans l’eau dormante de la brume

Comme des oiseaux plus légers

Qui ne seraient faits que de plumes.

Cécile Sauvage.

D’autres poésies de Cécile sauvage sont à découvrir ici

Citations d’olivier Messiaen

« La nature , trésor inépuisable des couleurs et des soins, des formes et des rythmes, modèle inégalé de développement total et de variation perpétuelle, la nature est la suprême ressource ! »

« Dans la hiérarchie musicale , les oiseaux sont les plus grands musiciens. »

« Dès que j’entends un chant d’oiseau, je récupère mes forces et j’oublie mes soucis. Je peux être mourant, si j’entends un chant d’oiseau, je suis guéri ! »

« Ornithologue par passion, je le suis aussi par raison. J’ai toujours pensé que les oiseaux étaient de grands maîtres et qu’ils avaient tout trouvé : les modes, les neumes, la rythmique, les mélodies de timbres, et même l’improvisation collective… ».

« Les travaux d’ornithologie furent, pour moi, non seulement un élément de réconfort sans mes recherches  d’esthétique musicale, mais aussi un facteur de santé. C’est peut être  grâce à ses travaux  que j’ai pu  résister aux malheurs et aux complications de la vie.

Olivier Messiaen

* Méthode additive :La synthèse sonore additive consiste à créer un son en additionnant des signaux sinusoïdaux appelés harmoniques.

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