De la beauté ou de la connaissance ?

Pourquoi la notion de beauté est gênante lorsqu’on s’intéresse aux animaux et pourquoi il vaut mieux chercher à les comprendre grâce à la connaissance par-delà leur beauté ou leur laideur ?

La beauté n’existe pas dans la nature. Les formes et les couleurs des animaux, par exemple, ont toujours une utilité et une fonction.

Ce que nous trouvons beau ne l’est que parce que projetons dessus une éthique qui est propre à l’espèce humaine.

L’esthétique est le cheval de Troie d’une éthique qui est elle-même le produit d’une idéologie.

Kant, à sa manière, le disait déjà dans la critique de la faculté de juger ( section analytique du beau ) .

Papillon-feuille (kallima paralekta) dessus des ailes .

Dire « c’est beau » «  n’est pas un jugement de connaissance » comme peut l’être le fait de dire qu’un papillon à 6 pattes, 4 ailes et que les femelles pondent sur des plantes hôtes   . » Ce n’est pas un jugement logique, mais esthétique , c’est-à-dire un jugement dont le principe déterminant ne peut être rien autre que subjectif. »

L’affirmation de la beauté d’un objet n’apporte strictement rien à sa connaissance . « Il ne dit rien de l’objet lui-même et renseigne surtout sur l’état dans lequel se trouve celui qui est affecté par la représentation ».

Pour le dire plus simplement, notre jugement esthétique en dit plus sur nous et sur nos projections que sur l’objet lui-même. On peut même dire que lorsque nous émettons un tel jugement esthétique sur un être vivant nous le chosifions .  

Nous ne le voyons plus tel qu’il est, mais nous utilisons sa surface pour y projeter nos propres affects.

Le beau est aussi une sensation subjective liée à notre histoire personnelle. Ce que je trouve beau peut paraitre très laid à mon voisin. Un tel aimera le bleu parce que cette couleur lui rappelle de bons souvenirs alors qu’un autre, pour les mêmes raisons, préféra le jaune, le rouge ou le vert .

Kant écrivait dans sa belle langue que le jugement de beau est subjectif « en ce sens qu’il désigne un genre particulier de sentiment ressenti par celui qui juge et ne désigne en rien une qualité objective de l’objet qui en a été l’occasion. »

Sachant cela, et une fois compris que dire « c’est Beau » ou « c’est laid »  n’apporte absolument rien à la connaissance des objets ou des êtres qui nous entourent, on pourra tout de même s’étonner de la fréquence à laquelle nous portons de tels jugements et se demander s’il est bien utile de poursuivre à ce rythme.

Si on souhaite en revanche s’intéresser véritablement aux autres animaux et éviter de projeter sur eux des choses qui ne les regardent pas, on laissera de côté ces notions de beau et de laid qui ne parlent que de nous et on préférera les observer réellement avec empathie en cherchant à les voir simplement tels qu’ils sont.

Dire qu’une mésange est mignonne ou qu’un chat est méchant ne parle ni de la mésange ni du chat, mais des croyances de la personne qui les regarde.  La mésange comme le chat méritent bien mieux que ces pauvres adjectifs qui ne les représentent pas du tout.

Au lieu d’utiliser le jugement esthétique qui ne sert à rien pour comprendre les animaux, on préfèrera développer ce jugement de connaissance cher à Emmanuel Kant qui permet, selon lui, « de saisir par la faculté de connaitre un édifice régulier » .

Papillon-feuille (kallima paralekta) Dessous des ailes

Cette question de la beauté doit bien sûr être étendue aux humains et l’on peut comprendre que traiter de beau, de belle, un être humain ce n’est pas lui rendre hommage, mais au contraire l’instrumentaliser et le chosifier en projetant sur sa « surface » ses propres croyances .   

Les mannequins de mode, qui sont les êtres les plus chosifiés dans nos sociétés, doivent comprendre ce que je veux dire.  

Chacun de nous préfèrera, j’imagine, que l’autre utilise pour nous connaitre son jugement de connaissance qui lui permettra de nous appréhender dans notre complexité plutôt qu’il projette sur nous les fantasmes (jugement esthétique) que notre unique façade lui inspire .

Dans le premier cas, il pourra apprendre à nous connaitre et savoir qui nous sommes. Dans l’autre, nous ne serons qu’un vulgaire objet, un instrument sur lequel il viendra déposer ses croyances .

Comme les paradoxes ne me font pas peur et que vous avez eu du mérite de lire mon texte jusque-là je veux maintenant vous présenter quelques papillons considérés comme « les plus beaux » par le grand public .

La plupart de ces papillons vivent dans des zones tropicales . 

La question légitime que l’on peut se poser est pourquoi ce type de régions créent de si étonnants papillons alors que les nôtres, en comparaison, paraissent presque ternes ?

L’une des raisons est certainement que le climat de ces régions leur convient parfaitement et qu’ils peuvent y vivre et s’y développer toute l’année. Les températures ne montent jamais ni trop haut ni trop bas et l’hygrométrie assez élevée leur apporte l’eau dont ils ont besoin    .

Une autre raison est l’immense biodiversité qui permet à de nombreuses espèces d’y trouver des plantes hôtes à leur gout et de la nourriture à foison.

Une dernière raison enfin est la faible présence des humains . Nous savons hélas maintenant que la présence des humains est une catastrophe pour toutes les autres espèces animales qui sont décimées par nos modes de vie très violents et nos pratiques agricoles extrêmement polluantes pour ne pas dire mortifères.

L’uranie de Madagascar (Chrysiridia  rhipheus)

Comme son nom l’indique, ce papillon vit à Madagascar . Il est considéré comme le plus beau papillon du monde grâce à ses ailes polychromes parcourues d’iridescences sur les deux faces. Ces ailes postérieures sont pourvues de trois queues qui lui donnent une fière allure . Ce papillon a payé cher sa “beauté”, car de nombreux amateurs de papillons voulaient l’avoir dans leur collection. Au XIXe me siècle il était aussi recherché par les joailliers qui intégraient des morceaux de leurs ailes dans leurs objets .

Le morpho bleu (Morpho rhetenor)

Le morpho bleu vit dans des pays comme le Brésil, la Guyane, le Suriname, le Venezuela ou la Bolivie.  C’est un grand papillon dont l’envergure peut atteindre 17 cm. Le dessus des ailes du mâle est bleu avec des reflets fluorescents.  Les femelles sont plus grandes que les mâles et ont le dessus des ailes marron.

Son nom scientifique descend du dieu grec Morpho qui est le symbole de la beauté et de la transformation 

le mormon écarlate (Papilio rumanzovia)

Ce papillon vit aux Philippines , à Taiwan et sur l’ile de Célèbes . Il est assez commun dans les forêts primaires des Philippines et d’Indonésie. Les mâles de cette espèce pratiquent le hilltopping.  Ils se regroupent sur un point élevé et forment une sorte de pyramide dont le sommet est occupé par les mâles dominants . Les femelles désireuses de s’accoupler volent alors vers la colline et choisissent un mâle . En général celui qui se trouve au sommet, car la femelle considère que le plus fort est celui qui lui transmettra les meilleurs gènes pour sa progéniture. 

Papillon-feuille (kallima paralekta)

Ces papillons ont la particularité d’imiter les feuilles . Lorsqu’ils referment leurs ailes, il est quasiment impossible de détecter le papillon tant la forme et la texture de ses ailes ressemblent à un végétal . Le dessus des ailes est en revanche très coloré et tranche avec le côté cryptique du dessous.

Le dessus des ailes antérieures est traversé par trois bandes obliques . Une noire à l’apex, une orange vif au milieu et une bleue nacrée vers la base. L’ensemble est marqué par deux points blancs . Les antérieures sont entièrement bleues . 

Ce papillon apprécie tout particulièrement la sève qui suinte des arbres . Lorsqu’il est apeuré,  il se laisse tomber ferme ses ailes et ressemble alors comme deux gouttes d’eau à une feuille.

Le Kallimma Palekta vit sur un territoire très étendu  dans la zone indo-malaise . On peut le rencontrer  dans les sous-bois et le long des cours d’eau de pays comme  l’inde, le Népal, le  Bouthan, le Bangladesh, la Birmanie, la Chine, la Thaïlande , le Laos ou le Vietnam.

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