Descartes et la théorie de l’animal machine

Il y a encore des observateurs assez naïfs pour croire qu’il existe des « certitudes immédiates », par exemple « je pense », […] Comme si la connaissance parvenait à saisir son objet purement et simplement, sous forme de « chose en soi », comme s’il n’y avait altération ni du côté du sujet, ni du côté de l’objet.

Friedrich Nietzsche

Descartes est connu pour son discours de la méthode  et son cogito .

Son célèbre « je pense, donc je suis » aurait, dit -on, fait  de lui l’un des fondateurs de la philosophie moderne.

Et c’est vrai qu’on peut le voir comme le précurseur de cette société moderne et désincarnée qui valorise les plus forts et les plus intelligents et qui traite les plus faibles et les plus fragiles avec un grand  mépris.

Une philosophie de l’humain pour l’humain  

La philosophie de Descartes est avant tout une philosophie qui glorifie l’humain et qui ne s’intéresse qu’à l’humain. Son programme, qu’il décrit clairement  dans le discours de la méthode, est de permettre aux humains de « se rendre comme maîtres et possesseurs de la nature ». Dans cet univers, les animaux ne valent rien et sont utilisés comme des faire-valoir  pour montrer la supériorité des Homo sapiens . Descartes  le dit d’ailleurs clairement dans une lettre  au philosophe anglais Henry More.

« Ainsi mon opinion n’est pas si cruelle aux animaux qu’elle est favorable aux hommes ».

Quand on connait la violence de sa théorie sur les animaux-machine, la phrase surprend et l’on se demande  où, pour lui,   commençait  la véritable  cruauté.

On parle du cogito de Descartes, mais on devrait bien plutôt parler de son ego démesuré qui l’a aveuglé toute sa vie. Rares sont les philosophes qui se sont intéressés aux autres espèces, mais aucun n’est allé aussi loin dans la mise à distance des animaux et dans ce que l’on pourrait appeler « leur détestation ».

Il suffit pourtant d’observer un animal deux  minutes pour comprendre qu’il est exactement la même chose que nous, qu’il est fait de la même chair et qu’il est soumis aux mêmes souffrances . Descartes dit qu’ils sont inférieurs à nous, car ils n’ont ni langage, ni pensées .

Là encore, il suffit d’écouter pour les entendre parler et de les observer pour les voir réfléchir . Que fait d’autre le chat qui nous dit très précisément ce qu’il souhaite faire (manger , sortir, jouer, se faire caresser) ? Que fait d’autres le fourmi qui se trouve bloqué par un obstacle puis qui fini par trouver la solution pour le contourner.?

 La théorie de l’animal machine

La théorie a été élaborée par Descartes pour résoudre des paradoxes théologiques. Descartes est un scientifique, mais il est aussi chrétien  et il ne veut pas déranger les dogmes de l’église qui considèrent que seuls les humains, à l’image de dieu, ont une âme immortelle  . Si les animaux, qui sont des sous-êtres,  ont aussi une âme et peuvent « acquérir des connaissances et vivre des passions » alors il n’y a point de Dieu .

Le canard machine ?
La grenoulle machine ?

Descartes considère d’ailleurs avec l’ immense modestie qui le caractérise que les hommes sont plus près des dieux que des animaux.

Le père Nicolas Poisson résume ce paradoxe sous cette forme :

 “Dieu ne peut , sans violer les lois de la justice, produire une créature sujette à la douleur et capable de souffrir qui ne l’ait mérité .

Or les animaux ayant une âme sont sujet à la douleur et sont capables de souffrir sans l’avoir mérité

Donc Dieu n’a pu sans violer les lois de sa justice , créer un animal avec une âme.”  

On voit ici ce qui guide la création de cette théorie . Non  pas  le désir sincère de chercher à comprendre de manière scientifique et objective qui sont les autres animaux, mais celui de  résoudre un paradoxe religieux et de se faire bien voir par l’autorité d’alors . Descartes instrumentalise les animaux et les traite de machines pour faire plaisir  aux religieux et valider leurs théories .

L’intention est d’ailleurs confirmée par le philosophe français  Pierre Bayle qui décrit ainsi le contenu su texte :

« C’est dommage que le sentiment de Mr Descartes ( il parle de l’animal machine) soit si difficile à soutenir, et si éloigné de la vraisemblance ; car il est d’ailleurs très avantageux à la vraie foi, et c’est l’unique raison qui empêche certaines personnes de s’en départir. »

Et tant pis pour les pauvres animaux qui devront subir pendant les siècles à venir les conséquences de  sa théorie . 

L’expression animal-machine est extraite des textes dans lesquels Descartes exprime son avis sur le sujet des animaux.  On peut notamment les trouver dans la cinquième partie du discours de la méthode ou  dans la Lettre au Marquis de Newcastle du 23 novembre 1646.

Extrait de la lettre de Descartes au Marquis de Newcastle

Descartes y affirme que les animaux ne sont rien d’autre que des machines et qu’il y a peu de différence entre un animal et une horloge.

Il a pourtant remarqué que les animaux avaient des qualités que nous n’avons pas, mais en bon cartésien il a réponse à tout .

Dans une lettre au marquis de Newcastle, il écrit

« Je sais bien que les bêtes font beaucoup de choses mieux que nous, mais je ne m’en étonne pas ; car cela même sert à prouver qu’elles agissent naturellement et par ressorts, ainsi qu’une horloge, laquelle montre bien mieux l’heure qu’il est, que notre jugement ne nous l’enseigne »

Il reprend cette  comparaison avec l’horloge dont il semble très fier  dans le discours de la méthode pour montrer que les animaux peuvent faire de belles choses,  mais toujours sans esprit  et seulement parce que « c’est la nature qui parle en eux et les fait agir selon la disposition de leurs  organes ».

La langue elle-même de Descartes est d’une violence inouïe par sa froideur et son manque d’empathie  . Il n’a de cesse de ramener les animaux à l’état d’objet mécanique obéissant  aux seuls  instincts et de les rabaisser .

« Et ceci  ne témoigne pas seulement que les bêtes ont moins de raison que les hommes, mais qu’elles n’en ont pas du tout » .

Descartes affirme que, contrairement aux humains, les autres animaux  n’ont pas d’âme et ne possèdent  qu’ un corps qui obéit à des lois semblables à celle d’une machine .

Une conséquence de ce mécanisme supposé est qu’ils ne peuvent donc pas souffrir !  Descartes déculpabilise ainsi  toutes les personnes qui tuent ou qui martyrisent les animaux en leur expliquant que ces derniers sont des mécanismes qui ne ressentent aucune douleur . Peut-on vraiment faire mal à une montre ou à un pantin mécanique ?

Vache hublot sur laquelle les “scientifiques” ont installé un hublot pour
pouvoir plonger leur bras dans le ventre de la vache et accéder à la panse

Lui-même pratique régulièrement la vivisection sur les animaux  . Accusé d’aller de villages en village pour tuer des cochons, il répondra : « comme si c’était un crime d’être curieux de l’anatomie .

Il multiplie les expériences et fait abattre des quantités de bêtes pour faire « progresser la science »  .

Il écrit au philosophe  Mersenne : J’ai été un hiver à Amsterdam que j’allais quasi tous les jours en la maison d’un boucher pour lui voir tuer des bêtes et faisais apporter de là en mon logis les parties que je voulais anatomiser plus à loisir ; ce que j’ai encore fait plusieurs fois en tous les lieux où j’ai été

Husserl, qui admirait* Descartes, avait pourtant  bien saisi sa nature profonde en disant « qu’il  était un philosophe inféodé au prestige de la science et qu’il avait oublié l’existence d’autrui… »

Les autres animaux n’ont ni âme , ni langage , ni raison.

N’ayant pas d’âme, les animaux  n’ont pas non plus de pensées et encore moins de langage .

« A quoi je n’ai rien à répondre, sinon que, si elles pensaient ainsi que nous, elles auraient une âme immortelle aussi bien que nous, ce qui n’est pas vraisemblable, à cause qu’il n’y a point de raison pour le croire de quelques animaux, sans le croire de tous, et qu’il y en a plusieurs trop imparfaits pour pouvoir croire cela d’eux, comme sont les huîtres, les éponges, etc. »

Toujours selon Descartes les animaux n’ont pas de raisons et ne réagissent qu’a des stimulus

  « Et sans doute que, lorsque les hirondelles viennent au printemps, elles agissent en cela comme des horloges. Tout ce que font les mouches à miel est de même nature, et l’ordre que tiennent les grues en volant et celui qu’observent les singes en se battant, s’il est vrai qu’ils en observent quelqu’un, et enfin l’instinct d’ensevelir leurs morts, n’est pas plus étrange que celui des chiens et des chats, qui grattent la terre pour ensevelir leurs excréments, bien qu’ils ne les ensevelissent presque jamais: ce qui montre qu’ils ne le font que par instinct et sans y penser. »

Les humains au contraire possèdent un corps comme les animaux et obéissent  comme eux à certains instincts, mais ce qui les différencie des animaux c’est qu’ils ont une âme . Le concept d’âme reste toujours bien vague, mais pour le philosophe c’est lui qui génère la pensée, le langage et la liberté que les humains seraient supposés avoir plus que les animaux .

Il suffit pourtant de réfléchir deux secondes pour comprendre que chaque espèce est enfermée dans une patate de possibilités qui lui est propre et qu’aucune ne peut en sortir . Et pas plus les humains que la bactérie ou la moule . Chaque espèce fait ce pour quoi elle est faite et ne peut  rien faire de plus. Les humains peuvent certes penser, mais ils ne peuvent pas vivre sous l’eau de manière naturelle et encore moins  voler . La liberté n’existe donc pas plus chez les humains que chez les autres espèces.  Nous nous considérons plus malins que les autres parce que nous pensons.  Mais si nous le faisons c’est parce que  le pensée et la  malignité  sont des caractéristiques qui entrent dans le cadre de la patate de nos possibilités comme le fait de baver entre dans celui de l’escargot . 

L’âme des humains

Descartes termine ce triste chapitre (cinquième partie)  consacré à la théorie de l’animal machine par une tirade sur l’âme complètement surréaliste dans laquelle il essaye de montrer que la différence entre les humains est les animaux est immense parce que les premiers ont une âme alors que les animaux n’en ont pas .  Je lui laisse la parole pour que vous puissiez voir par vous-même dans quel bois est construite la philosophie de Descartes et quel est le genre de  “preuves indiscutables” qu’il avance pour soutenir sa thèse.

« Au reste, je me suis ici un peu étendu sur le sujet de l’âme à cause qu’il est des plus importants ; car, après l’erreur de ceux qui nient Dieu, laquelle je pense avoir ci-dessus assez réfutée, il n’y en a point qui éloigne plutôt les esprits faibles du droit chemin de la vertu que d’imaginer que l’âme des bêtes soit de même nature que la nôtre, et que  par conséquent , nous n’avons rien à craindre , ni à espérer , après cette vie , non plus que les mouches et les fourmis ; au lieu que, lorsqu’on sait combien elles diffèrent , on comprend  beaucoup mieux les raisons , qui prouvent  que la nôtre est d’une nature entièrement indépendante du corps et , par conséquent , qu’elle n’est point sujette à mourir avec lui ; puis , d’autant qu’on ne voit point d’autres causes qui la détruisent , on est naturellement porté à juger de là qu’elle est immortelle. »

On perçoit bien ici comment il prend ses désirs pour des réalités « car, après l’erreur de ceux qui nient Dieu, laquelle je pense avoir ci-dessus assez réfutée » ???? et comment il prend pour vérité le fruit de son idéologie, pour ne pas dire de ses errements intellectuels.

«  on comprend  beaucoup mieux les raisons , qui prouvent  que la nôtre (l’âme) est d’une nature entièrement indépendante du corps et , par conséquent , qu’elle n’est point sujette à mourir avec lui ; » Un penseur qui sortirait de telles sornettes aujourd’hui serait immédiatement ridiculisé et raillé sur les réseaux sociaux.  Son œuvre n’est plus lisible aujourd’hui que comme une œuvre historique ayant existé .  Elle doit surtout nous faire réfléchir sur les dégâts qu’une idéologie, poussée à ses extrêmes,   peut produire sur les animaux mais aussi sur les humains.

Ses admirateurs diront certainement qu’il faut remettre les textes dans le contexte de l’époque mais de tels propos ne tiennent pas quand on voit que les écrits  d’un  philosophe plus ancien comme Montaigne est encore parfaitement lisible et d’une grande modernité.

La différence est que l’œuvre de Montaigne est l’œuvre d’un homme plein d’humanité qui observe les êtres vivants avec empathie  alors que celle de Descartes  est  celle d’un idéologue qui projette sur le monde ses propres fantasmes .

Je prends aussi encore énormément  de plaisir à lire les textes d’Épicure qui vivait 340 ans avant jésus christ alors que la lecture de Descartes ne me cause que du désagrément .

Ça crie, mais ça ne sent pas (les suiveurs)

Comme de nombreux autres disciples de Descartes  ,le philosophe Malebranche prit la théorie au premier degré . Le philosophe Fontenelle raconte  sa rencontre avec lui  et décrit cette scène ;

« « Une grosse chienne de la maison, et qui était pleine, entra dans la salle où ils se promenaient, vint caresser le P. Malebranche et se rouler à ses pieds. Après quelques mouvements inutiles pour la chasser, le philosophe lui donna un coup de pied, qui fit jeter à la chienne un cri de douleur et à Monsieur de Fontenelle un cri de compassion. Eh ! Quoi, lui dit froidement le Père Malebranche, ne savez-vous pas que cela ne sent point ? »

Nicolas Malebranche

Malebranche qui se dit philosophe, mais qui est surtout prêtre et théologien,  reprendra d’ailleurs à son compte la théorie mécaniste de Descartes pour la radicaliser . il met notamment l’accent sur l’insensibilité des animaux et la justifie par des raisons religieuses et morales. Malebranche pense par exemple que les cris et les gémissements des animaux ne sont pas la conséquence d’une souffrance, mais  « le reflet  d’un dysfonctionnement dans les rouages ».

Pour ces hommes fanatisés, voir « ce qui est » est  impossible . Ils préfèrent au contraire le  déformer pour le faire coller, de force, à leur idéologie philosophico-chrétienne .

Certains témoignages de l’époque montrent les dégâts que cette théorie a pu faire.

Dans ses mémoires “pour servir à l’histoire du port royal » Nicolas royal évoque la période qui avait suivi la diffusion de la théorie de Descartes 

« Il n’y avait guère de solitaire qui ne parlât d’automate. On ne se faisait plus une

affaire de battre un chien. On lui donnait fort indifféremment des coups de bâton, et

on se moquait de ceux qui plaignaient ces bêtes comme si elles eussent senti de la

douleur. On disait que c’était des horloges ; que les cris qu’elles faisaient quand on

les frappait, n’étaient que le bruit d’un petit ressort qui avait été remué, mais que

tout cela était sans sentiment. On clouait de pauvres animaux sur des ais, par les quatre pattes, pour les ouvrir tout en vie, et voir la circulation du sang ; ce qui était

une grande matière d’entretien. »

l’influence de Descartes était alors très puissante et ceux qui appréciaient les animaux et croyaient à leur sensibilité étaient maintenant raillés .  Le philosophe du cogito avait dit que croire à la souffrance des animaux était des enfantillages et les philosophes de l’époque n’osaient plus le contredire  même si tous, bien sûr, n’étaient pas d’accord avec sa théorie .

Le père Gabriel Daniel qui détestait Descartes écrivit en 1702 une  satire qui montre comment celui-ci était vu à l’époque :

« Avant que d’être cartésien, j’étais si tendre, que je ne pouvais pas seulement voir

tuer un poulet : mais depuis que je fus une fois persuadé que les bêtes n’avaient ni

connaissance ni sentiment, je pensai dépeupler de chiens la ville où j’étais, pour

faire des dissections anatomiques, où je travaillais moi-même, sans avoir le

moindre sentiment de compassion. »

Même ses amis les plus proche furent surpris par la violence et l’absurdité  de cette théorie. Le philosophe anglais Henry more, qui correspond régulièrement avec Descartes, lui écrivit ceci:

Au reste , de toutes vos opinions sur lesquelles je pense différemment de vous, je ne sens pas une plus grande révolte dans mon esprit, soit mollesse ou douleur de tempérament, que sur le sentiment meurtrier et barbare que vous avancez dans votre méthode, et par lequel vous arrachez la vie et le sentiment à tous les animaux ;

Henri More

ou  plutôt vous soutenez qu’ils n’en ont jamais joui ; car vous ne sauriez souffrir qu’ils aient jamais vécu. Ici les lumières pénétrantes de votre esprit ne me causent pas tant d’admiration que d’épouvante : alarmé du destin des animaux, je considère moins en vous cette subtilité ingénieuse, que ce fer cruel et tranchant dont vous paraissez armé pour ôter comme d’un seul coup la vie et le sentiment à tout ce qui presque animé dans la nature, et pour les métamorphoser en marbres et en machines.

 (lettres du 11 décembre 1648) 

la critique ne vient pas que des philosophes mais aussi  des écrivains et des scientifiques . Dans une lettre datée de 1672, la marquise de sevigné s’insurge contre la théorie et la prend presque pour une blague.

« Des machines qui aiment , des machines qui ont une élection pour quelqu’un, des machines qui sont jalouses, des machines qui craignent : allez, allez, vous vous moquez de nous ; jamais Descartes n’a prétendu nous le faire croire. »

Jean de la fontaine lui-même, qui a si bien observé les animaux, se moque  de Descartes.

Dans son discours à Mme de la sablière, il  traite de  la thèse de l’animal-machine et répond sous la forme d’une fable aux différentes affirmations de Descartes qui l’ont beaucoup choqué.

Ce fondement posé, ne trouvez pas mauvais

Qu’en ces Fables aussi j’entremêle des traits

De certaine Philosophie

Subtile, engageante, et hardie.

On l’appelle nouvelle. En avez-vous ou non

Ouï parler ? Ils disent donc

(30) Que la bête est une machine ;

Qu’en elle tout se fait sans choix et par ressorts :

Nul sentiment, point d’âme, en elle tout est corps.

Telle est la montre qui chemine,

A pas toujours égaux, aveugle et sans dessein.

Ouvrez-la, lisez dans son sein ;

Mainte roue y tient lieu de tout l’esprit du monde.

La première y meut la seconde,

Une troisième suit, elle sonne à la fin.

Au dire de ces gens, la bête est toute telle :

L’objet la frappe en un endroit ;

Ce lieu frappé s’en va tout droit,

Selon nous, au voisin en porter la nouvelle.

Le sens de proche en proche aussitôt la reçoit.

L’impression se fait, mais comment se fait-elle ?

Selon eux, par nécessité,

Sans passion, sans volonté.

L’animal se sent agité »

Puis il cite de nombreux exemples pour montrer l’intelligence des animaux en toutes circonstances qui, bien que différente de celle des humains,  n’a rien à leur envier .

« Quand la Perdrix
Voit ses petits
En danger, et n’ayant qu’une plume nouvelle,
Qui ne peut fuir encor par les airs le trépas,
Elle fait la blessée, et va traînant de l’aile,
Attirant le Chasseur, et le Chien sur ses pas,
Détourne le danger, sauve ainsi sa famille ;
Et puis, quand le Chasseur croit que son Chien la pille,
(90) Elle lui dit adieu, prend sa volée, et rit
De l’Homme, qui confus, des yeux en vain la suit.
Non loin du Nord il est un monde
Où l’on sait que les habitants
Vivent ainsi qu’aux premiers temps
Dans une ignorance profonde :
Je parle des humains ; car quant aux animaux,
Ils y construisent des travaux
Qui des torrents grossis arrêtent le ravage,
Et font communiquer l’un et l’autre rivage.
(100) L’édifice résiste, et dure en son entier ;
Après un lit de bois, est un lit de mortier.
Chaque Castor agit ; commune en est la tâche ;
Le vieux y fait marcher le jeune sans relâche.
Maint maître d’oeuvre y court, et tient haut le bâton.
La république de Platon
Ne serait rien que l’apprentie
De cette famille amphibie.
Ils savent en hiver élever leurs maisons,
Passent les étangs sur des ponts,
(110) Fruit de leur art, savant ouvrage ;
Et nos pareils ont beau le voir,
Jusqu’à présent tout leur savoir
Est de passer l’onde à la nage.

Que ces Castors ne soient qu’un corps vide d’esprit,
Jamais on ne pourra m’obliger à le croire ; 
»

Mais le mot de la fin revient à Gilles Morfouace de Beaumont qui était avocat  au parlement de Paris et qui écrivit  un pamphlet au titre parlant » :

« Apologie des bestes, ou leurs connoissances  et raisonnement  prouvés contre le système des philosophes cartésiens : qui prétendent que les brutes ne sont que des machines automates . »

Au sujet de Descartes et de sa théorie il disait qu’ »elle était un système faux qui était le fruit d’un orgueil mal placé qui empêche d’en mesurer l’absurdité. »

Je crois qu’on n’a jamais  mieux résumer la théorie et la personnalité de son auteur.

L’erreur de Descartes

L’erreur de Descartes est finalement de mesurer toutes les espèces à l’aune de l’intelligence humaine. Il dit que les autres espèces sont inférieures parce qu’elles ne possèdent pas  la même intelligence que nous. Mais le raisonnement, qui peut sembler logique dans une première lecture, est en réalité totalement absurde.

Que penserait-on si les oiseaux se mettaient à juger de l’infériorité ou de la supériorité des autres espèces à leur possibilité de voler et d’effectuer des migrations sur des milliers de kilomètres. Les oiseaux se prendraient alors certainement pour l’espèce élue et se placeraient d’office au sommet de la pyramide du vivant.

Descartes, dans sa naïveté, se comporte comme un adolescent  aux long cheveux bouclés qui évaluerait toutes les espèces en les comparant à sa propre chevelure et qui considérerait que les éléphants, les Dauphins ou les vers de terre sont des êtres inférieurs parce qu’ils ne possèdent pas un seul cheveu sur le caillou.

Ce serait bien sûr ridicule, mais pas moins  ridicule que Descartes mesurant toutes les intelligences à celle des humains .  Comparerait -on d’ailleurs le gout d’une orange avec celui  du citron ? Bien sûr que non parce que les deux agrumes ont des gouts différents qui amènent des saveurs différentes . Il en de même pour les espèces. Toutes sont différentes, mais chacune est parfaite en son genre et aucune n’est supérieure ou inférieure à l’autre .

Nous avons longtemps cru que nous étions le centre de l’univers puis Copernic est arrivé et nous avons compris que nous faisions partie de l’univers, mais que nous n’en étions pas le centre .

De la même manière nous avons longtemps cru que nous nous trouvions au sommet de la pyramide des espèces puis Charles Darwin est arrivé  et nous avons compris que nous faisions partie du monde animal, mais que de pyramides du vivant , il n’y en avait pas .

Les admirateurs

De nombreux admirateurs de Descartes essayent  encore aujourd’hui de justifier cette théorie pour sauver l’image du héros qu’ils se sont choisi . Mais le feraient -ils si, au lieu des animaux, Descartes avait parlé dans les mêmes termes des noirs, des enfants ou  des femmes ? Seraient-ils prêts à défendre encore  Descartes,  s’il avait  proposé une théorie des  noirs-machines, des enfants-machines ou des femmes-machines. On suppose que non.  S’il peuvent encore le défendre aujourd’hui, c’est parce qu’eux-mêmes et une grande partie de la société méprisent toujours les animaux  et les considèrent  comme des êtres inférieurs . Pour eux, ce dérapage n’est en vérité pas très grave puisqu’il ne concerne que les bêtes.

Conclusion

Pour finir, je rappellerai juste qu’à peu près toutes les affirmations péremptoires  de Descartes ont été depuis remise en question. Et aussi bien son célèbre « je pense donc je suis » dont plusieurs philosophes et penseurs ont montré l’absurdité que ses  théories physiques comme la théorie des chocs qui a été balayée par la physique newtonienne.

Mais la plupart de ses théories physiques sont toutes aussi fausses puisqu’il affirmait que le vide n’existait pas , que la lumière se déplaçait de façon instantanée et que le soleil n’avait aucune action sur les planètes, etc ….

Ses théories et son influence n’ont pas fait de dégâts seulement sur les autres animaux. Le philosophe Michel Foucault pensait que la philosophie rationaliste poussée à l’extrême de Descartes avait été à l’origine du durcissement des traitements envers les fous . Alors que le moyen âge  était plutôt tolérant avec eux ,  la norme stricte de la raison imposée par  Descartes aurait conduit à l’exclusion des fous qui ne rentraient plus dans le cadre et à leur enfermement dans des conditions beaucoup plus sévères  .

Je ne suis pas historien pour dire si Foucault à raison, mais cela me semble tout à fait plausible vu le comportement de Descartes dont le mode opératoire est presque toujours de rabaisser les faibles pour se rehausser lui-même  .

Citation

 « Je ne reconnais aucune différence entre les machines que font les artisans et les divers corps que la nature seule compose, sinon que les effets des machines ne dépendent que de l’agencement de certains tuyaux, ou ressorts, ou autres instruments, qui, devant avoir quelque proportion avec les mains de ceux qui les font, sont toujours si grands que leurs figures et mouvements se peuvent voir, au lieu que les tuyaux ou ressorts qui causent les effets des corps naturels sont ordinairement trop petits pour être aperçus de nos sens. »

René Descartes

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