Les pinsons de Darwin

Les oiseaux peuvent aussi  parfois être à l’origine d’immenses découvertes . Les pinsons de Darwin font partie de ceux-là.

Darwin jeune

Le voyage du Beagle

L’histoire débute au cours de l’année 1831. Le jeune Charles Darwin a alors 22 ans. Il vient d’embarquer sur le voilier Beagle pour une expédition scientifique. Celle-ci a pour mission de cartographier les côtes de la Patagonie et de la Terre de Feu et de relever les plans des côtes du Chili, du Pérou, et de quelques îles du pacifique. Darwin y est invité par le commandant Robert FitzRoy qui recherche un compagnon de bord avec qui il pourra échanger. Encore étudiant, Darwin a d’abord fait des études de médecine avant de se diriger vers la botanique et l’entomologie.  

Fasciné par les récits du naturaliste et explorateur Alexandre Von Humboldt qu’il admire, Darwin rêvait de partir à l’aventure.  Il préparait depuis quelque temps un voyage vers les iles Canaries quand un de ces amis (Henslow) lui écrivit pour lui dire qu’un capitaine de la Royal Navy cherchait un naturaliste bénévole pour l’accompagner. La proposition du Beagle balaya son propre projet. Partir à l’autre bout du monde sur un deux-mâts pendant plusieurs années était une proposition qui ne pouvait pas se refuser.

« Déterminant pour toute ma carrière, écrit-il dans son autobiographie, le voyage du Beagle fut de loin l’évènement le plus important de ma vie.

Le départ

Le départ fut reporté plusieurs fois. Le voilier quitta le port de Devonport en Angleterre le 27 décembre 1831 avec soixante-quatre personnes à bord . En plus du personnel nécessaire au fonctionnement du bateau, on y trouvait un artiste, un médecin, un fabricant d’instruments, des domestiques, un missionnaire de 20 ans et trois indigènes  . Ramenés de la Terre de Feu vers l’Angleterre lors d’un voyage précédent , ils étaient maintenant renvoyés dans leur pays après avoir été instruits afin de participer à l’évangélisation des peuplades auxquelles ils appartenaient .

Le Beagle au large des Galapagos

Les observations scientifiques

Lors de cette expédition, Darwin en profita pour collecter un grand nombre d’informations et d’observations . Il descendait  à terre à chaque escale et,  à cheval ou à pied, explorait le pays . Il traversait les plaines, escaladait les montagnes, franchissait les rivières et collectait des spécimens de poissons, d’insectes ,de papillons , d’oiseaux ou  de reptiles. Il faisait la même chose avec la flore et réalisait  également de nombreux relevés géologiques.  Son objectif était  de rendre compte le plus fidèlement possible de la biodiversité du lieu dans lequel il se trouvait . A chaque nouvel arrêt, il reprenaient inlassablement ses relevés.

Darwin en plein travail aux Galapagos

Mais tout ce travail ne lui suffisait pas. Il regrettait  de ne pas savoir dessiner pour pouvoir faire des croquis sur le vif . À l’époque l’appareil photo n’existait pas et le dessin jouait alors ce rôle de description de la nature. Un certain nombre de naturalistes étaient aussi d’excellents dessinateurs.

Il parle de sa collection d’animaux :
-« Comme j’étais incapable de dessiner , et que mes connaissances anatomiques étaient insuffisantes, une grande partie des manuscrits amassés au cours de ce voyage s’est révélée pratiquement inutile. « 

L’autocritique est sévère, car certaines de ses découvertes sont très importantes.   À Punta Alta , au Brésil ,  il a découvert un ossuaire de mammifères terrestres fossiles de grandes tailles. On y trouve notamment des crânes de Mégathérium, des os de Magalonyx et un squelette presque complet de Scelidotherium.

Squelette de Mégathérium à londres

Passionné par la géologie ,il découvre que les atolls coralliens se forment sur des cônes volcaniques en cours de submersion.  Il confirmera sa théorie après sa visite dans les îles Cocos . Au chili il remarque également des bancs de moules mortes au-dessus du niveau de la pleine mer et en tire la conclusion que le niveau de la terre a été récemment surélevé .

Dans les Andes, à 2100 mètres d’altitude, il rencontre une forêt pétrifiée dans un escarpement de grès.  La pétrification étant un phénomène qui se produit quand le bois est enterré sous une couche de sédiments ,Darwin en conclut que les arbres étaient forcément passés par plusieurs étapes .

1 Ils sont nés et ont grandi au bord d’une plage du pacifique. 

2) La terre sur laquelle ils vivaient s’est effondrée et a enseveli les arbres.

3) Ils ont passé au moins 100 ans sous des sédiments pour que la pétrification puisse avoir lieu .

4) Des forces géologiques importantes ont finalement surélevé l’endroit où se trouvaient les arbres et les ont amenés à plus de 2000 mètres d’altitude.

Autre fait marquant pour lui qui comptera lorsqu’il mettra au point sa théorie de l’origine des espèces : sa rencontre avec les habitants de la Terre de Feu (fuégiens) qui lui fit prendre conscience que les humains avaient évolué au fil du temps et que tous étaient partis d’un état bien plus primitif.

Un habitant de la terre de feu

Darwin, que les marins du Beagle appelaient maintenant “le philosophe”, ramena également de son voyage un matériel impressionnant. En premier lieu, 770 pages de journal ,1836 pages de notes sur la géologie et 368 feuillets sur la zoologie.

Il collecta aussi ‘1529 échantillons d’espèces conservés dans l’alcool* , 3907 peaux , os et exemplaires conservés à sec plus une tortue des Galapagos vivantes (la vision de l’animal ) .

Les pinsons des îles

Darwin ne le sait pas encore, mais l’une de ses observations va faire grand bruit quelques années après et sera même l’illustration parfaite de son concept magistral de l’évolution des espèces.

Cette observation se déroula en septembre 1835. le Beagle venait d’arriver dans l’archipel des Galapagos.  Alors qu’il était en train de recenser la faune très riche du lieu, il remarqua que treize espèces de pinsons vivaient sur les iles des Galapagos et une sur l’ile de cocos.

Darwin ne devait pas être un grand spécialiste des oiseaux, car dans son journal écrit sur le Beagle il les nomme « les moineaux ».

« les oiseaux de terre forment un groupe très singulier de moineaux ressemblant les uns aux autres. »*

(Voyage d’un naturaliste autour du monde)

Il fut frappé tout d’abord par la ressemblance de tous ces pinsons avec ceux qu’il voyait en Angleterre, mais fut encore plus marqué par les différentes formes de becs qu’il rencontrait. Tous les oiseaux avaient à peu près le même corps, mais chacun avait un bec différent des autres.  

Darwin pressentit que les oiseaux qu’il voyait n’existaient nulle part ailleurs, qu’il se trouvait en face d’une seule et même espèce qui avait muté et que les becs s’étaient modifiés en fonction de la nourriture qu’ils trouvaient   .

Bien que les ilots soient relativement proches les uns des autres, chaque espèce avait muté pour s’adapter parfaitement aux caractéristiques de leur environnement.  

Forme des becs des pinsons selon leur nourriture

Le géospize à gros bec a un gros bec qui lui permet de casser les noyaux de graines très dures tandis que le Géospize fuligineux est doté d’ un bec court et délicat adapté aux types de graines plus molles dont il se nourrit .

On trouve aussi le géospize des cactus qui a un bec effilé pour pouvoir se nourrir de la chair des cactus sans se piquer .  Le spizin de cos, qui vit seul sur l’ile de cocos, a un bec long et fin adapté à son alimentation. Cet oiseau a par ailleurs une particularité étonnante puisqu’il peut avoir plusieurs modes d’alimentation qui peut varier d’un individu à l’autre.

l’espèce la plus remarquable est celle qui utilise des outils. C’est le cas du geospize pique bois (Camarhynchus pallidus ) qui se sert d’une courte brindille, voire d’une épine de cactus, pour extraire les larves des branches mortes ou faire sortit les insectes qui se dissimule sous l’écorce .

Certains, par exemple, ne vont se nourrir que de nectar de fleurs d’hibiscus tiliaceus ,un autre ne mangera que des invertébrés tandis qu’un troisième consommera seulement des fruits et plus particulièrement ceux de Cecropia pittieri.

John Gould

Darwin présent déjà ce qu’il y a là quelque chose d’intéressant, mais il lui faudra attendre son retour en Angleterre et qu’il en discute avec l’ornithologue John Gould pour que son intuition prennent une certaine ampleur. Ce dernier lui confirma   en effet que ces pinsons étaient différents des autres pinsons sud-américains et que chaque ile portait bien une espèce distincte bien que toutes aient des caractéristiques très proches.

Darwin écrira plus tard.

« Un groupe très singulier de pinsons se ressemblant par la conformation de leur bec, par leur courte queue , par la forme de leurs corps et par leur plumage Il y a en a treize espèces que Monsieur Gould a divisées entre quatre sous-groupes. Toutes ces espèces sont particulières à cet archipel. […] Le fait le plus curieux est la parfaite gradation de la grosseur des becs chez les différentes espèces[…]  

Quand on considère cette gradation et cette diversité de conformation dans un petit groupe d’oiseaux très voisins, on, pourrait imaginer qu’en vertu d’une pauvreté originelle d’oiseaux dans cet archipel une seule espèce s’est modifiée pour atteindre des buts différents. » 

Certains considèrent aujourd’hui que les pinsons de Darwin sont à l’origine de sa théorie de l’évolution et qu’il identifia immédiatement les éléments qui pouvaient alimenter sa thèse de l’origine des espèces qui sera publiée 25 ans plus tard.

D’autres au contraire, pensent que Darwin n’a pas du tout saisi sur le moment l’importance de ces observations et qu’il trouva les variations des pinsons  intéressantes sans en percevoir véritablement l’importance.

N’étant pas un spécialiste Je laisserai chacun se faire son avis sur le sujet.

Reste que l’on ne peut être qu’admiratif face à la puissance d’observation du jeune Darwin qui n’avait que 25 ans au moment des faits et qui percevait pourtant le monde avec une acuité étonnante et plutôt rare pour son âge.

Retour en Angleterre

Le voyage qui devait durer au départ 2 ans avait finalement duré 5 ans. À son retour, le 2 octobre 1836,  Darwin découvrit qu’il était devenu célèbre.  Son ami Henslow avait en effet communiqué les fossiles et les notes que Darwin lui envoyait régulièrement à des naturalistes connus.  Il fut donc très bien reçu dans les milieux scientifiques qui étaient très curieux de ses découvertes. Voyant l’intérêt que suscitait son fils, le père de Darwin  rassembla des fonds qui permirent à celui que les marins du Beagle avaient surnommé le « philosophe »de se consacrer entièrement à  son travail sans se soucier du lendemain.  

Les pinsons de Darwin

Les pinsons de Darwin font partie de l’ordre des passereaux .  Autrefois classés dans la famille des emberizidés ils ont été depuis rangé dans la famille des Thraupidés. Ils sont en réalité plus proche des tangaras, qui sont aussi des thraupidés, que des pinsons qui font partie de la famille des fringillidae.

Les pinsons de Darwin ont depuis été étudiés par de nombreux ornithologues .  Selon eux, les pinsons de Darwin auraient un seul et même ancêtre commun, le Sporophile commun (tiaris obscura), qui vivait dans le sud de l’Amérique du Nord à hauteur des iles Galápagos . Plusieurs de ces oiseaux auraient parcouru les 1000 kilomètres qui séparent le continent des iles *, et par dérive génétique et la sélection naturelle,  auraient produit plusieurs espèces distinctes.

Les 14 espèces

  • Genre Geospiza
  • Geospiza magnirostris (Géospize à gros bec )
  • Geospiza Fortis     ((Géospize à bec moyen)
  • Geospiza Difficilis   (Géospize à bec pointu)
  • Geospiza Conirostris (Géospize à bec conique)
  • Geospiza Scandens  (Géospize des cactus)
  • Geospiza Fugilinosa (Géospize fuligineux)
  • Genre Camarhynchus
  • Camarhynchus crassirostris (Géospize crassirostre)
  • Camarhynchus psittacula    (Géospize psittacin )
  • Camarhynchus heliobates  (Géospize des mangroves)
  • Camarhynchus pauper      (Géospize modeste )
  • Camarhynchus parvulus  (Géospize minuscule)
  • Camarhynchus pallidus (Géospize pique-bois)
  • Genre certhidea
  • Certhidea olivacea (Géospize olive)
  • Certhidea  fusca (Géospize gris )
  • Genre Pinaroloxias
  • Pinaroloxias inornata (Spizin de cocos) (île cocos )

Sélection naturelle

La sélection naturelle a été théorisée par Charles Darwin dans son ouvrage, “l’origine des espèces”. Il l’a nommé ainsi en opposition à la « sélection artificielle » qui était pratiquée par les humains depuis des siècles pour « améliorer » la qualité des animaux  ou des plantes.

Le mécanisme de sélection naturelle permet  d’expliquer l’évolution notable  de certaines espèces sans passer des explications mystérieuses d’origine divine comme c’était le cas avant Darwin.

Elle repose sur trois principes:

1)le principe de variation,

2) le principe d’adaptation,

3) le principe d’hérédité.

Le cas de pinsons est l’exemple type de la sélection naturelle .

Parmi les pinsons au  départ existent d’infimes variations dont certaines rendent la vie plus facile dans un lieu déterminé  alors  d’autres rendent la vie plus difficile .

Ceux qui ont les caractéristiques positives se développent alors plus  facilement tandis que les autres ont plus de mal à s’adapter et  disparaissent lentement . La sélection s’opère  ainsi et la génétique via l’hérédité  finit le travail . Ceux qui se développent bien se reproduisent  en plus grand nombre que les autres . Ils  transmettent leurs caractéristiques génétiques particulières à leur descendant et finissent par former une nouvelle espèce distincte de l’espèce souche . 

L’importance de la taille du bec dans les choix des partenaires sexuels

Darwin ne l’avait pas noté, mais les ornithologues qui ont étudié les pinsons par la suite se sont aperçus que la plupart des pinsons se mettaient en couple avec des partenaires qui possédaient des becs de taille sensiblement identique. Après avoir classé les becs avec des numéros qui vont de 1 à 6 ils s’aperçurent que les mâles avec des becs de taille 2 se mettaient le plus souvent en couple avec des femelles de taille 2. il pouvait y avoir quelques exceptions avec des écarts d’une taille, mais on ne rencontrait jamais des femelles pinsons de taille 2 avec des pinsons mâles de taille 5 ou 6.

Les becs de 6 pinsons de Darwin (illustration Thomas Haessig)

En règle générale, chaque pinson s’accouple avec d’autres pinsons ayant un bec de taille similaire.

Pour expliquer le phénomène, les ornithologues rappellent que le bec sert de caisse de résonance et que le chant de chaque oiseau, qui est son langage, a un rapport direct avec la taille du bec. Celui qui a une contrebasse ne comprendra bien que celle qui a également une contrebasse. Et celle qui utilise un petit violon ne pourra “discuter” qu’avec un autre petit violon.

Pour faire une comparaison, une spécialiste parle de la rencontre pendant les vacances d’une Française avec un jeune et bel Anglais. L’amourette pourra bien commencer, mais s’arrêtera vite, car toute véritable communication est impossible. Chez les oiseaux, elle ne débutera même pas .  Mâles comme femelles ne se mettront ensemble qu’avec un partenaire qui « parle » la même langue.  

* À l’époque, la notion d’antispécisme n’existait pas. Les animaux étaient considérés par la majorité des humains comme des objets au service des humains et Darwin était dans sa jeunesse un grand chasseur . Mais son voyage et l’observation de la nature le firent évoluer sur ce point-là au fil du temps . Dans son autobiographie, il écrit ceci :

-« C’est maintenant que, regardant en arrière, je peux saisir à quel point mon amour de la science a , petit à petit , pris le pas sur tous mes autres goûts . Pendant les deux premières années du voyage , ma vieille passion pour la chasse subsista dans presque toute sa vigueur, et je tirais moi-même les oiseaux et les animaux à collecter ; mais , peu à peu, j’abandonnai mon fusil , et le laissai finalement à mon serviteur , car la chasse interférence avec mon travail , et plus spécialement avec le relevé de la structure géologique des lieux. Je découvris ,quoiqu’inconsciemment et insensiblement , que le plaisir d’observer et de raisonner l’emportait de beaucoup sur celui de l’adresse et du sport .Les instincts primitifs du barbare cédèrent lentement la place aux gouts acquis de l’homme civilisé.  »

Charles Darwin

Plus tard, il écrira également cette phrase qui , bien que courte, en dit long sur le chemin parcouru.

 Le ver mérite d’être dit intelligent, car il agit presque comme le ferait un homme placé dans des circonstances analogues.

Charles Darwin

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